Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

13 avril 2014 7 13 /04 /avril /2014 10:13

Et si l'accomplissement ultime, dans ce média si scruté, analysé, disséqué par tous qu'est le cinéma, était tout bonnement de réussir un film qui ne soit rien d'autre que le déroulement de son intrigue, une simple plongée dans la fiction ou la recréation historique, dénuée de toute intention intellectualisante? Je n'y crois pas une seconde, mais il est tentant de suivre John Ford par exemple, lorsqu'il disait que My darling Clementine n'était qu'un western, et qu'il ne fallait y voir qu'une bonne histoire, rien d'autre... Ou on aurait presqu'envie de croire Hawks, qui divisait ses films en "bonne" ou "mauvaise" histoire. C'est un peu à ça qu'on pense dans un premier temps en voyant ce film de Peter Weir: une belle histoire de bateaux qui se chassent l'un l'autre au début du XIXe siècle, et rien d'autre. Le souffle épique d'un conte sans arrière-goût, le bonheur des images sublimes, etc... Cest probablement ce que Weir aurait à en dire, lui dont chaque film, réussi ou raté, est une immersion dans un univers.

Rappelons l'intrigue: Jack Aubrey (Russell Crowe) commande le navire Britannique Surprise, qui vogue au large de l'Amérique du Sud, et est attaqué par une frégate Française, l'Acheron, tellement rapide et dont les attaques sont si brutales que les marins le surnomment vite le fantôme. Bien que le navire doive rentrer en Angleterre, Aubrey décide de faire une affaire personnelle de mater le bateau ennemi; et s'engage alors un jeu de chat et souris entre les deux navires, qui symbolisent à eux seuls le conflit qui faisait alors rage entre les Anglais et la France Napoléonienne. Parallèlement, Aubrey veille sur ses marins, ses mousses, ses tous jeunes lieutenants ou son médecin, le chirurgien Stephen Maturin (Paul Bettany), un homme doué et cultivé, avec lequel il se plait à jouer de la musique certains soirs.

Une grande partie de la fascination quotidienne ressentie par ces marins qui ont choisi leur destin, qui n'est parfois pas de tout repos, passe dans le film, dont le spectateur est amené à ressentir l'émerveillement devant le monde, devant la nature et globalement, le caractère spectaculaire du film est évident. Il en ressort une sorte de commentaire sur la capacité à s'émerveiller, qui est partagée non seulement par Jack Aubrey, mais aussi par le médecin, qui est amené à explorer la faune exotique et inconnue des Galapagos dans une séquence en forme de halte; d'autres, dont le jeune lieutenant Blakeney (Max Pikris) sont amenés à expérimenter cette joie contemplative à plusieurs reprises... Mais c'est malgré tout un privilège, surtout reservé aux gens les mieux placés dans cette hiérarchie si cadrée qu'est le bateau. Néanmoins le capitaine Aubrey n'est en rien le capitaine Bligh dans sa version interprétée par Laughton: il est sévère mais juste, soucieux du moral, attentif aux fluctuaions d'ambiance, et parvient même à excuser le comportement injuste des marins face à un lieutenant pas suffisamment solide, tout à coup considéré comme porteur de malchance par l'ensemble de l'équipage, y compris, une ligne de dialogue nous le révèle, par le capitaine lui-même...

Aubrey est un héros qui se situe dans un univers dont il est le maître, comme le dit clairement le titre du film, ce qui n'est bien sur mis en doute par personne. Mais il est aussi hors des sentiers battus, exprimant sa personnalité dans l'interprétation personnelle de sa mission: il a à charge un navire et toutes ses âmes, mais il prend sur lui de se lancer dans une confrontation à haut risque, faisant une affaire personnelle de régler son compte à l'Acheron. Celui-ci sera dur à abbattre, comme le prouvent non seulement les batailles nombreuses du film, mais aussi un final magistral et inattendu, qui renvoie à mon sens aux fins ouvertes de deux autres oeuvres de Weir, The Truman Show et dans une moindre mesure Picnic At Hanging Rock. dans l'un et l'autre de ces films, et dans des oeuvres aussi diverses que Witness, Green Card, Mosquito Coast ou Dead poets society, il était après tout question de sortir des sentiers battus, de façon parfois spectaculaire voire mortelle... Aubrey taille sa route dans le système codé et sécurisé de la marine Britannique, dont il est l'un des illustres membres, mais se comporte souvent en excentrique, trop impliqué personnellement dans une quête dangereuse qui n'est pas si éloignée de celle du capitaine Achab, l'Acheron devenant son Moby Dick. C'est essentiellement son ami Stephen Maturin qui le lui reproche.

Peter Weir aime à doter ses héros d'une vie intérieure impressionnante: il avait, pour un personnage certes clé de The Truman Show, Christof, interprété par Ed Harris, imaginé toute une biographie qui devait permettre à l'acteur de s'approprier toute la complexité du personnage. Aucun des traits ou développements biographiques n'apparaissait explicitement dans le film... Ici, Aubrey lâche parfois l'une ou l'autre des anecdotes de son passé glorieux, mais là encore, si le caractère apparaît clairement, conduit par la puissante interprétation de Russell Crowe, le personnage garde ses mystères, du moins l'essentiel. Reste qu'une large partie du film est consacrée à la relation privilégiée qu'il entretient avec le médecin. Certes, Aubrey est marié, une scène durant laquelle il écrit un courrier à son épouse le prouve. Il est sans doute attiré par les femmes, ce qu'il nous prouve par un regard lourd de sens lors d'une escale dans un comptoir Portugais. Mais de nombreux indices nous montrent une attirance claire pour le médecin, probablement partagée du reste. Les allusions à Nelson, ceraines explicites (Les anecdotes sur la rencontre du jeune aspirant Aubrey avec le grand amiral, par exemple, si prisées à table par les jeunes lieutenants), d'autres moins ("Put your hand on my belly" qui renvoie à l'historique dernière parole de Nelson), rappellent que le grand héros de la marine Britannique était un homosexuel presque officiel dans l'histoire de la marine Britannique. Un personnage révéré, héroïque, singulier dont Aubrey s'est fait un modèle... Bien sur, ni Aubrey ni Nelson ne pouvaient vraiment vivre leur sexualité différente au grand jour, ni en devenir des militants. Ce n'est pas, de toute façon, la préoccupation de Jack Aubrey, héros d'une épopée superbe, et d'un film qui reste un grande réussite, quels qu'aient été les tripatouillages de scénario qui ont essentiellement consisté à déplacer l'intrigue de quelques années afin de transformer un navire Américain en navire Français, ce que la production semblait trouver plus sage compte tenu de l'état du marché. Mais personnellement, le fait de rappeler aussi souvent que possible que Napoléon était un dictateur fou dangereux, ou l'idée de faire des Français les méchants d'un film, ne me dérangent en rien. Et quel résultat!

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Peter Weir