A la fois film intemporel et pur produit de son époque, The party est la profession de foi d'un grand cinéaste, dont on n'a probablement jamais reconnu le talent singulier. Bien sur, sur ce film en particulier, ou sur Breakfast at Tiffany's, Victor Victoria ou 10, on a reconnu sa relative importance, mais Blake Edwards, dont la carrière s'est faite à Hollywood, est souvent pour les critiques l'objet d'un "oui, mais" cinglant: comme si on ne pouvait parler de lui sans mentionner à un moment ou à un autre les films supposés "indignes" qu'il aurait commis. Selon les uns, ce sera The Pink Panther et ses suites, selon d'autres toute sa production depuis 1982... On ne sortira jamais d'un débat comme celui-ci: Blake Edwards est un metteur en scène qui a parfois été amené à faire des films qu'il n'avait pas envie de faire. C'est le cas de The Pink Panther, dont il était finalement assez fier dans la mesure ou il avait réussi à en détourner le style, le propos, jusqu'à y imposer sa propre touche. Et je pense que si le réalisateur pouvait revendiquer un film (en plus de sa superproduction de 1965 The great race, une merveille assumée d'un bout à l'autre de ses deux heures et demie), c'est bien The Party.
Rappelons les faits: égaré dans les années 60, l'auteur vouait un culte particulier au burlesque des années 20, et surtout à Laurel et Hardy. cet aspect se retrouve dans toute son oeuvre, et cet amour du duo le plus notable de l'histoire du cinéma s'affiche au générique de The great race qui leur est dédié. De fait, durant les turbulentes, bruyantes et bavardes années 60, Edwards est sans doute le seul aux Etats-Unis à se pencher avec insistance sur le cinéma muet, sa science de la comédie, et sa logique purement visuelle. Voilà l'enjeu véritable de The party, qui n'est pas qu'une caricature de Hollywood au repos: certes,il fallait bien un cadre. Celui-ci est admirablement campé (Une villa richissime qui appartient au richissime directeur d'un studio, dans laquelle ses richissimes employés, amis et obligés viennent participer à une réception), et suffisamment réaliste pour qu'on ne se pose aucune question; le principal ingrédient de ce film sera le grain de sable. Celui-ci s'appelle Hrundi V. Bakshi, est figurant, distrait et maladroit, et il est interprété par Peter Sellers, qui n'a pas son pareil pour rompre la glace dans une situation embarrassante d'une phrase comme "Parlez-vous Hindoustani?".
Faire rire, c'est un métier, un savoir-faire: ça nécessite des idées, du talent, mais aussi une science des rouages, et un sens du dosage. C'est tout cet art qui est ici exposé, de gags en gags, à travers des enchainements, des relations de cause à effet, et une prise à témoin du spectateur, aussi douce et didactique que possible tout en étant invisible. Si on résume ce film, on obtiendra une phrase, et une seule: un acteur maladroit et qui a été invité par erreur se rend à une party, et va tout détruire... Mais dès le départ, se pose la question: comment cet homme (Un acteur Indien raté, devenu figurant minable et rayé de toutes les listes par sa maladresse ingérable) peut-il se retrouver invité d'une telle occasion? C'est bien sur par un enchainement de circonstances que l'erreur va être produite, parce qu'il ne peut en aucun cas s'agir de malveillance: pour qu'on puisse le suivre, Bakshi doit être absolument persuadé qu'il a sa place dans cette petite sauterie, du moins au début... Chaque gag, chaque situation ressort de cette logique, et le film coule tout seul, en 99 minutes parfaitement menées. On n'oubliera pas les mésaventures de Bakshi tentant de récupérer une chaussure, trouvant des stratégies pour échapper aux conséquences de ses gaffes, essayant sans savoir que tout le monde l'entend un système de haut-parleur qui envoie sa voix disant le fameux "Birdie-num-num" dans toute la maison, et la réaction de toute la bonne société Hollywoodienne à ce personnage qui ne leur ressemble décidément pas, est toujours parfaite: indifférente, surprise dans un premier temps mais pas trop; quand les gens commencent à vraiment s'impliquer, et que la colère l'emporte, c'est toujours trop tard; l'oeuvre de destruction massive est belle et bien enclenchée...
Voilà, je m'efforce de ne citer ou de ne démonter aucun gag, parce que ça casse tout, et que ça ne sert à rien: si on ne connait pas ce film, il faut le voir séance tenante. Si on n'aime pas l'humour visuel, alors on a tort, mais je pense qu'il est inutile d'aller voir cette merveille. Mais ce film est bien un chef d'oeuvre de l'humour cinématographique, qui nous peint superbement l'ambiance d'une époque, la fin des années 60, dans le Hollywood essentiellement blanc soudainement envahi par l'esprit sans malice d'un Indien qui va tout transformer en une soirée, et finir dans la mousse.