Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
  • Contact

Recherche

Catégories

27 décembre 2017 3 27 /12 /décembre /2017 18:42

Grand Œuvre de DeMille ou simplement passage obligé d’un showman chrétien? On ne résoudra pas cette question. Quoiqu’il en soit, c'est l’avant-dernier muet de son auteur, dont l’opus suivant contiendra des séquences parlantes - une page se tourne. Et elle se tourne de façon spectaculaire. Devenu un producteur-réalisateur indépendant mais puissant, DeMille est toujours plébiscité par le public; après ses Dix commandements, il avait eu une crise d’inspiration, qui avait notamment abouti au très saugrenu Road to yesterday. Après la crise d’inspiration, la crise de foi: The King of kings, en réponse à Ben Hur, a Tale of the Christ, allait être la vision DeMillienne des derniers jours du Christ, des derniers miracles à la résurrection, avec des acteurs de premier plan partout, du Technicolor, des décors et des costumes grandioses…

Ecrit avec l’inévitable Jeanie McPherson, monté avec des acteurs priés de s’investir dans leur rôle de façon spirituelle et créé par une équipe technique acquise à la sincérité du projet, ce film est un monument à plus d’un titre. Certes, nous sommes en pleine vision officielle, qui plus est approuvée par les instances W.A.S.P les plus fondamentalistes de l’époque, en dépit de quelques extravagances, généralement bien rigolotes (Marie Madeleine en courtisane richissime - en Technicolor!); comme souvent dans ce genre d'entreprise les Juifs ont le mauvais rôle, mais de nombreux intertitres (Tirés des évangiles) viennent rappeler qu'ils n’ont souhaité la crucifixion de Jésus que parce qu’ils étaient manipulés par de fins politiques... Ce qui du reste correspond à la deuxième version du film, sortie en janvier 1928 et amendée par une association qui souhaitait veiller au respect de la communauté Juive et à éviter d'éventuels incidents antisémites: de nombreux acteurs juifs ont répondu présent, en particulier Rudolph et Joseph Schildkraut (ce dernier un habitué des établissements DeMille-McPherson), qui jouent respectivement Caïphe, le grand prêtre du temple, et Judas, le « Disciple préféré » qui deviendra le traître que l’on sait. L’idée de le faire jouer par un acteur de premier plan, conjuguée à d’astucieuses ficelles de scénario, lui donne un poids peu commun, des motivations et une humanité qui sont sans prix: Judas trahit par dépit politique (Il se voyait déjà premier ministre d’un Jésus-roi) et va suivre le chemin de croix, et le remords va monter jusque au suicide; la corde, il l’a ramassée lorsque les romains ont délié Jésus pour lui faire porter sa croix… La scène de sa mort est traitée d'une façon spectaculaire.

Autre acteur dont il faudra bien parler, H.B. Warner joue Jésus : on est loin de ce à quoi devait ressembler un charpentier Palestinien, mais après tout, c’est vrai aussi pour Willem Dafoe. Warner, un alcoolique bon vivant, qu’on connaît pour tous ses rôles chez Capra, s’en sort plutôt bien, ayant surtout comme tâche d’incarner plus que de jouer. Il reprend les canons en vigueur, d'un Christ blond, au regard dans le vague. Sa performance a été saluée à l'époque: on n’en dira pas autant de Pierre, joué par Ernest "Steamboat Bill" Torrence, qui est bien meilleur en Captain Hook chez Brenon (Peter Pan, 1924)… Sa performance a d’ailleurs été rabotée sévèrement dans la version sortie en salles en 1928, afin de ramener le film en dessous de deux heures.

Le résultat final, absolument sincère, n’évite pas la pesanteur: le metteur en scène a choisi de rester à respectueuse distance, et de peu faire bouger sa caméra, comme avec Jeanne d’Arc (Joan the woman, 1916); de plus, cet excès de foi peut facilement rester sur l’estomac, mais il y a de vrais beaux moments, depuis l’utilisation qui nous rappelle The Whispering Chorus de multiples surimpression pour nous montrer les sept péchés capitaux quitter le corps de Marie Madeleine, à la mort de Jésus, le cadre explosant d’effets spéciaux pour nous montrer spectaculairement la colère de Dieu; la première vision de H. B. Warner est une trouvaille, puisque c’est par le point de vue subjectif d’un aveugle que Jésus nous est révélé: une façon de contourner l’interdit que s’étaient fixés toutes les personnes à avoir travaillé sur l’une ou l’autre des adaptations de Ben Hur (Théâtre ou film); dans The king of kings, avant la guérison de l’aveugle, vers la quinzième minute, on ne voit pas Jésus… La scène de la condamnation par Ponce Pilate est d’une grande efficacité, et totalement claire en dépit de la multiplication des points de vue… Les nombreux emprunts picturaux, décidément une habitude DeMillienne, atteignent ici leur apogée, notamment lors de la Cène ou de la Crucifixion.

Le film est loin d'être un échec, même si il est difficile de le voir sans ricaner ou grincer des dents lorsque l’on ne croit pas: Jésus, dans ce film, nous apparaît comme totalement indiscutable. Toutefois, le film emporte l'adhésion par la fluidité narrative (De la version longue en tout cas), par le besoin de creuser les motivations et les liens de cause à effet, par les rapprochements heureux: une scène durant laquelle les instances religieuses juives se déchaînent contre un Ponce Pilate trop enclin à libérer Jésus est immédiatement suivie d’une séquence durant laquelle les légionnaires romains rivalisent de sadisme (La couronne d’épines, bien sur) devant un Judas torturé par le remords et qui prie pour que Jésus s’en sorte. Cette inversion prouve que même DeMille sait freiner un peu ses penchants manichéens…

Pour répondre enfin à la question posée en exergue, il est confirmé que nous ne trancherons pas: les deux complices (Cecil et Jeanie) avaient déjà fait acte de foi dans le passé, c’est de nouveau le cas: le film est aussi sincère que l’était la morale bondieusante de ses Dix Commandements. Mais en emboîtant le pas à la MGM et à son Ben Hur, DeMille savait parfaitement ce qu’il faisait, et en a reçu beaucoup en retour, présentant en soirée de gala sa version de 160 minutes, puis coupant un peu (Trois scènes passent littéralement à la trappe, dont les doutes de Pierre) pour présenter une version de 112 minutes avec musique en boite pour l’exploitation en salles. Les deux sont disponibles chez Criterion dans un coffret impeccable, et le transfert de la version longue est magnifique. Les deux scènes en Technicolor sont fort bien rendues, ce qui est rare compte tenu de la volatilité du procédé en deux bandes, dont bien des films ont disparu. Et en décembre 2017, nous voyons arriver le film en Blu-ray chez Lobster, présentant une restauration des deux principales versions, l'une comme l'autre très impressionnantes.

Pour finir sur une petite note de curiosité inattendue, ce film est par ailleurs l'une des principales sources d'inspiration de Last Temptation of Christ, de Scorsese.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Muet Cecil B. DeMille 1927 Technicolor **