Pour son premier film d'aventures situées dans le passé, Douglas Fairbanks incarne Zorro, le mystérieux "renard" Californien en lutte contre l'oppression d'un gouverneur félon qui compte depuis trop longtemps sur la confiance en ses intérêts d'une noblesse complice... Non seulement ce film a permis la spectaculaire reconversion de son principal artisan, l'acteur-producteur-scénariste-maître d'oeuvre Douglas Fairbanks, mais on peut probablement lui attribuer d'autres effets bénéfiques, et non des moindres: adapté d'un roman paru en 1919, The Curse of Capistrano de Johnson McCulley, le film de Niblo et Fairbanks crée un personnage cinématographique, une icône impressionnante qui a aujourd'hui une vie propre et une mythologie instantanément reconnaissable; en réadaptant le film "en costumes", un genre synonyme généralement de prétention et d'insuccès dans le cinéma Américain fondé essentiellement sur la vitesse e l'action, et en y insufflant un dosage savant de mélodrame, de comédie et une solide portion d'aventures bondissantes, Fairbanks a fait bien plus qu'une mutation de son propre style, il a inventé un genre à part entière, d'où viendront, finalement, aussi bien les héros incarnés par Errol Flynn, Burt Lancaster qui lui doivent tant tous les deux, mais aussi les films du cycle Indiana Jones. Et enfin, en en confiant la mise en scène à Fred Niblo, il a probablement eu un effet plus que déterminant sur la carrière de ce réalisateur freelance, qui allait ensuite réaliser une série impressionnante de films importants.
Le nouveau personnage incarné par Doug avait un atout de poids: il était double, ayant résolu sa crise d'identité, trait commun de tant de héros de l'acteur: le plus souvent, ils étaient des êtres sympathiques, mais marqués par un défaut, une inadéquation, une maladresse, voire une vulnérabilité dont il fallait se débarrasser afin de devenir un héros; chaque protagoniste était double, un excentrique qui devait découvrir sa part de flamboyance au travers de l'intrigue. Zorro-Don Diego, lui, a déjà résolu ce problème, mais Fairbanks étant malin, il a prévu un moyen de garder une part de cette révélation comme enjeu, puisque si le public (Ainsi que Bernardo, le fidèle, et muet, serviteur de Don Diego) sait que Diego et Zorro ne sont qu'une seule et même personne, personne d'autre parmi les protagonistes ne le sait. La révélation que Diego, cet insupportable nobliau détaché de tout, qui promène sa lenteur et ses tours de passe-passe minables de taverne en salon, est en fait Zorro devient le but à atteindre afin de retrouver l'équilibre final. Et pour commencer, cette révélation doit être la fin du parcours pour Lolita Pulido (Marguerite de la Motte), qui aime Zorro mais ne peut pas souffrir Diego. L'occasion enfin est trop belle pour que Fairbanks hésite à accentuer avec gourmandise les différences entre ses deux personnages (Zorro, au passage, est doté d'une moustache, mais elle est postiche. Encore un effort, Doug!). Ces huit bobines sont donc empreintes, à leur façon, de la mythologie mise en place par Douglas Fairbanks depuis 1915.
En revanche, le plaisir de recréer une Californie située cent ans auparavant se double cette fois d'un aspect pratique: The Mark Of Zorro a été tourné en décors naturels, pour la plupart, et bénéficie sans tricher du beau soleil local, ainsi que de l'architecture Hispano-Indienne. Ce sera l'une des rares fois que ce sera possible, bien sur, mais ça joue beaucoup dans le film, comme l'utilisation des décors spectaculaires du Grand Canyon dans A modern musketeer (1917) fournissait un souffle particulier à ce film d'Allan Dwan. Fairbanks utilise d'ailleurs le décor comme inspiration, pour mettre en place comme il en a le secret des scènes haletantes de poursuites spectaculaires: un plaisir constant, autant qu'une marque de fabrique. D'ailleurs, le film doit beaucoup au western, autant qu'au mélodrame dont Niblo était l'un des maîtres reconnus. The Mark of Zorro doit donc une grande part de son succès à une fusion de genres, fédérés dans une intrigue parfaitement irrésistible, et dont les implications dépassent en prime l'habitue thème des films de l'acteur: on ne parle pas seulement de révélation et d'accomplissement de soi, mais aussi de la lutte contre l'oppression (Le film à ce niveau ne fait pas dans la dentelle, avec trois intertitres d'introduction bien pompeux), et le triomphe d'une certaine idée de la démocratie; une façon de montrer une Californie ancestrale, qui aurait toujours eu foncièrement vocation à intégrer les Etats-Unis.
Après avoir eu recours aux services de metteurs en scène efficaces mais sans relief, les Joseph Henabery, Christy Cabanne et John Emerson (Je mets volontiers de côté Fleming et Dwan, qui étaient clairement au-dessus du lot), Fairbanks a fait appel à Niblo, qui n'a pas encore signé un seul de ses films importants, celui-ci étant le premier. Mis il a réalisé, pour le compte de Thomas Ince, un mélodrame flamboyant et volontiers excessif, dans lequel il a montré son sens du coup de théâtre. Et dans The mark of Zorro, Fairbanks a cette fois besoin d'un cadre qui doit être solide et aussi sérieux que possible. Zorro bondit, Don Diego nous fait rire par son inefficacité, fut-elle feinte, mais on doit croire à l'importance de cette lutte Californienne pour la liberté... Mais le film brille aussi pour l'ensemble de sa narration cinématographique: montage impeccable, et varié (Une scène montre une confrontation entre Zorro et l'un de ses ennemis en passant d'un plan large à un plan serré, puis un gros plan des deux visages l'un face à l'autre, aussi déterminés que dangereux l'un et l'autre... On ne rigole plus!), splendeur de a production, dont le sens du détail laisse pantois, tournage des scènes nocturnes de nuit, ce qui a du impliquer une sévère note d'éclairage, et utilisation superbe de la lumière, dans des scènes sombres: en particulier, Harry Thrope, William McGann et Niblo ont privilégié l'utilisation dramatique de sources lumineuses dans le champ, justifiant ainsi des compositions en clair-obscur qui ne sont pas courantes dans le cinéma Américain en 1920, à part chez DeMille et Tourneur: ainsi la libération des prisonniers de l'oppression s'effectue-t-elle à la lumière d'une lampe à bougie... Enfin, le metteur en scène utilise le point de vue pour rythmer les allée et venues des personnages dans une scène, sans passer nécessairement par un plan large pour établir la situation. Il utilise notamment un miroir dans lequel Marguerite de la Motte se regarde pour justifier des transitions qui maintiennent en permanence un dynamisme redoutable. L'acteur-producteur et son metteur en scène ont choisi des lieux emblématiques pour les extérieurs, vite identifiés par les spectateurs, et dans lesquels des scènes-clés vont se dérouler: la propriété de Diego et son père, la villa des Pulido, et la taverne du centre-ville permettent un ancrage sur du spectateur... Pour finir, Niblo et Fairbanks ont fait appel, pour la première fois, au talent de Fred Cavens, le spécialiste de l'escrime cinématographique. Ce ne serait pas la dernière fois...
Vu dans une superbe copie teintée, avec sa luxuriance de détails, The mark Of Zorro reste aujourd'hui un film excitant et superbe à voir. Une forme de classique instantané, dont Fairbanks a su tirer la leçon, puisque il allait se faire une spécialité de ce qu'on allait bientôt appeler le "swashbuckler", sous toutes ses formes, épuisant d'ailleurs en une décennie les sujets possibles, de D'artagnan à ...D'Artagnan! On peut aussi se demander, à propos, pourquoi l'acteur qui souhaitait tant incarner le héros de Dumas n'avait pas commencé ce cycle de films d'aventures par le sujet des Trois Mousquetaires, mais on ne va pas se poser la question très longtemps: potentiellement très cher, et si important pour lui, le sujet avait sans doute besoin d'une assurance suffisante pour être monté. Un Zorro à moindre frais ayant prouvé que la recette était valide, il ne lui restait plus qu'à mettre en chantier son D'Artagnan. Mais si The Mark of Zorro est, techniquement, un produit-test (!), c'est aussi un film suffisamment exemplaire pour avoir engendré une kyrielle d'imitations, ainsi qu'un hommage vibrant dans le film The artist, de Michel Hazanavicius, dédié à la grande décennie du cinéma muet Américain.