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23 septembre 2015 3 23 /09 /septembre /2015 17:07

Oublions le film de De Palma, cet infâme brouet de mauvais gout, et intéressons nous à Scarface, le seul, l'unique, le vrai: le film de gangsters de Hawks, produit par Howard Hugues, comme toujours sur plusieurs années. Si je ne pense pas que le film mérite son actuel statut tant vanté par la publicité en mal de facilité (Le "meilleur film de gangsters de tous les temps", allons donc, et The public enemy, alors?), il est plus que remarquable, par l'art de la transgression dont Hawks fait preuve, mais aussi par l'étonnant dosage de comédie, de tragédie et de drame qui est ici à l'oeuvre...

Le principal lieutenant de Johnny Lovo, l'étoile montante de la mafia Italienne, s'appelle Tony Camonte, et il est très précieux, parce qu'il est efficace et qu'il aime ça. Lorsque le film commence, il est à l'oeuvre, assassinant le principal concurrent de Lovo. Mais une fois celui-ci à la tête des familles Italiennes, alors que le conflit menace avec les Irlandais, Camonte se prend à rêver d'accéder à la place de Lovo, qu'il juge trop mou et trop prudent... Il convoite non seulement la position enviable, mais aussi le style de vie et la petite amie de son patron, et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes de gangsters si Camonte n'avait un sérieux talon d'Achille en la personne de sa turbulente jeune soeur Francesca, qui va précipiter sa chute...

Le propos de Hugues, avec ce film au pedigree aussi riche que celui d'un film de Selznick, était essentiellement de faire une concurrence impitoyable à la Warner, qui triomphait avec The public enemy et Little Caesar. Pour le milliardaire, son film ne pouvait être que plus actuel, plus brûlant, et bien sur plus sensationnel que les films de la firme de Burbank. Ironiquement, on trouve beaucoup de scènes dans Scarface qui jouent à la fois le rôle d'indiquer la relation entre ces histoires de tueries et l'actualité urbaine de ce début de décennie, mais aussi de souligner le rôle parfois ambigu joué dans la presse pour informer sur ou glorifier les gangsters... Mais beaucoup de ces séquences sont des ajouts visant à détourner la censure, ce qui ne l'a absolument pas empêchée de tomber à bras raccourcis sur le film qui n'en demandait pas tant. Et ce qui me frappe, c'est bien sûr le ton, ce côté picaresque de la vie quotidienne de ces monstres qui passent leur temps à s'entretuer; un aspect qu'on ne trouve ni chez Le Roy, ni chez Wellman. Hawks s'est d'ailleurs beaucoup amusé à brouiller les pistes et à demander à Paul Muni de jouer son "Scarface" en grand enfant. Il n'a pas oublié sa préoccupation du travail et du professionnalisme, et nous montre le gang des Italiens comme une entreprise dans laquelle l'ascenseur social existe, et bien sûr comme un lieu de travail qui requiert des outils perfectionnés: dans une scène, en pleine fusillade, Camonte s'avise que lui et ses copains sont attaqués par des fusils mitrailleurs, il n'aura de cesse d'en avoir un à son tour!

Ensuite, bien sur, il est fascinant de constater à quel point Hawks (Secondé, sans qu'on puisse y voir la moindre indication de la proportion de cette co-direction, par Richard Rosson), qui clama toute sa vie n'avoir aucun style et aucun talent pour la mise en scène sophistiquée, est un menteur: dans Scarface, il brille de tous ses feux, par un rythme endiablé, des plans-séquences hallucinants qui annoncent Scorsese et ses propres histoires de gangsters, et un goût pour les motifs. Le plus évident est ce jeu avec les X (Allusion bien sûr à la cicatrice qui lui barre le visage), sous toutes les formes, dans le décor ou en ombres, qui annoncent le plus souvent les meurtres perpétrés par Tony Camonte. Les idées géniales fourmillent et donnent à ce film dans lequel les balles pleuvent plus encore de paradoxale légèreté...

Al Capone, pour finir, n'avait que deux frères, dont un qui lui a survécu jusqu'aux années 70, et non une soeur... Cela ne l'a pas empêché de se reconnaître en Camonte. Pas un hasard, car depuis la présence d'une cicatrice voyante sur son visage, jusqu'à sa conception de l'auto-promotion à coup de flingues, en passant par son manque total de peur et de scrupules, le personnage de matamore sous-éduqué, d'origine Italienne, est un décalque de Capone, qui nous fait presque oublier les différences physiques entre muni et son modèle. Bien sur, Capone, lui, n'a pas plongé en raison de l'attachement excessif qu'il avait pour sa jolie soeur, mais en raison de problèmes d'impôts. Plus efficace et moins glamour, mais il faut reconnaître que ce quasi-inceste qui nous est narré loucherait plutôt vers une version pervertie du gangster, une idée qui sied bien à l'esprit tortueux de Hugues. Hawks appréciait l'idée, qui lui semblait ressortir de la tragédie classique, ce qui détourne évidemment le sens du film vers le baroque. Peut-être aussi appréciait-il de travailler avec Ann Dvorak, qui est comme d'habitude exceptionnelle. Quoiqu'il en soit, ces turpitudes n'ont pas empêché Capone d'aimer le film, et on raconte même qu'il en aurait possédé une copie...

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Published by François Massarelli - dans Pre-code Howard Hawks