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15 novembre 2015 7 15 /11 /novembre /2015 13:56

Kwaidan, c'est par excellence le plus excentrique et le plus rigoureux des films de fantôme, une oeuvre qui repose moins sur la peur que l'esthétique, un film qui prend son temps (185 minutes environ) et qui développe quatre histoires, toutes plus ou moins inspirées du folklore, via sa récupération par Lafcadio Hearn, poète Irlandais exilé au Japon au XIXe siècle. Rien que ce pedigree est détonnant:un film reprenant des traces du folklore Japonais revu et corrigé par un Irlandais, et mis en scène par un cinéaste polémiste et attaché à critiquer parfois violemment les traditions paternalistes de son pays, dans un Scope couleurs absolument magnifique, et mis en sons (Plus qu'en musique) par Toru Takemitsu, un avant-gardiste qui a fait rigoureusement ce qu'il a voulu. Il est d'ailleurs assez courant de considérer ce beau, très beau film comme une pause dans l'oeuvre polémique de Kobayashi, mais c'est absurde: ce serait comme de séparer Psycho ou Peeping Tom des oeuvres respectives de Hitchcock et Powell. Alors oui, Kwaidan s'éloigne du canon, des sujets même choisis par le cinéaste, mais il est, à sa façon, partie intégrante de la succession de films de Kobayashi.

Le film se divise en quatre histoires, racontées de façon linéaire, et sans autre lien entre elles que le fait d'être des histoires de fantômes. Un homme revient chez lui après la guerre et est perturbé par la chevelure fantôme de son épouse; un homme qui a survécu à une rencontre avec une mystérieuse "femme des neiges", qui a par contre coûté la vie à son ami, ne doit jamais parler de l'incident sous peine de voir revenir la créature. Il rencontre une femme merveilleuse, avec laquelle il file le parfait amour et fonde une famille, jusqu'au jour où...; la troisième histoire est la plus longue, mettant en scène un jeune moine aveugle qui est réquisitionné pour chanter par les fantômes de la cour d'un empereur, tous morts lors de la même bataille. Le moine, ignorant la nature de ses commanditaires, leur fait revivre les circonstances tragiques mais héroïques de leur sacrifice, mais est en grand danger de ne pouvoir revenir dans le monde des vivants; enfin la dernière histoire, qui se situe partiellement à l'époque de Lafcadio Hearn, montre un samouraï devenu fou à cause de sa rencontre avec le reflet d'un mystérieux jeune homme dans des bols de thé ou autre ustensiles remplis de liquide...

C'est après le monumental La Condition de l'homme (1959-1961) et Harakiri (1962) que Kobayashi a mis ce film en chantier. On sent, de la première à la dernière minute, le cinéaste en contrôle absolu de son film, et les décisions derrière chaque choix, depuis le casting brillant (En premier lieux Tatsuya Nakadai, son alter ego de La condition humaine et son samouraï provocateur de Harakiri, qui interprète ici l'homme qui rencontre La femme des neiges) jusqu'au choix de tourner intégralement en studio et de souligner aussi souvent que possible le faux, les décors littéralement peints, dans chacune des quatre intrigues. La dénonciation du Japon ancestral, qui passait par le pamphlet provocateur dans ses films précédents, est ici présente à travers la mise en scène, qui souligne de façon adroite et non-invasive les rapports de pouvoir, qui évite aussi de tomber dans la complaisance et la vulgarité patriotique ou belliciste dans les deux derniers contes, ou dans la façon dont Kobayashi réussit à prendre de la distance. a ce titre, la bande-son est souvent déstructurée: de nombreuses scènes font intervenir des actes normalement bruyants qui sont ici laissés muets, ou accompagnés d'instruments de musique qui apportent un décalage ironique. Si ma préférence va clairement à l'admirable Femme des neiges (le fragment qui sera souvent coupé du film lors de l'exploitation!), tout le film est une expérience plastique extraordinaire...

 

Kwaidan (Masaki Kobayashi, 1964)
Kwaidan (Masaki Kobayashi, 1964)
Kwaidan (Masaki Kobayashi, 1964)
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Published by François Massarelli - dans Masaki Kobayashi Criterion