Cette merveille date de 1948, soit au tout début des aventures de "Tweety" et de sa rivalité avec le chat Sylvester. Pourtant ce dernier (dont il est aisé de voir qu'il est le véritable anti-héros de ces aventures dont le canari de Satan est en fait le protagoniste maléfique) a eu au cours des années 40 tout une vie, apparaissant au gré de l'inspiration de Freleng, et même parfois de Chuck Jones, dans des courts métrages qui sortent de l'ordinaire. Et Back alley oproar est sans doute le plus beau, le plus drôle et donc le plus accompli de ceux-ci. Sylvester y incarne un chat qui a décidé de donner de la voix en pleine nuit. On le sait, dans la vraie vie ce genre de péripétie est lié à la vie sexuelle intense du personnage, mais dans ce dessin animé, on voit la chose de deux points de vue différents: d'une part, on constate avec Elmer Fudd, très fatigué, que si cette saleté de chat tient tant à se faire entendre, ce ne peut être que pour l'empêcher de dormir lui personnellement; d'autre part, le chat en question est d'humeur lyrique, et souhaite donc nous faire profiter de son répertoire... Qui est vaste, de l'aria du Barbier de Séville de Rossini, à la chanson Moonlight bay (relativement récente), en passant par à peu près tout et n'importe quoi, dont une chanson "à la Spike Jones"...
Le film est une suite ininterrompue et réjouissante de variations sur ce présupposé, le type de structure qu'aimait tant Freleng, et lui permet de donner libre cours à deux de ses péchés mignons: d'une part, les gags liés à la musique, impliquant danse et millimétrage du mouvement; d'autre part, les gags qui gardent une réalité physique, que Freleng privilégiait le plus souvent à des délires surréalistes comme ceux que pouvaient parfois se permettre Clampett, Avery ou Jones. L'animateur John Kricfalusi, admirateur de Clampett, passe son temps à dire que les cartoons du vieux Friz sont mièvres, mais ce parti-pris de voiler l'animation d'une certaine dose de réalisme n'est pas sans déchaînement de violence... Je pense en particulier à la façon dont Elmer doit, plusieurs fois, traverser un champ de punaises pieds nus, sans jamais penser à faire un détour. Aïe.
Notons pour finir que ce film est un remake (supérieur à l'original) de l'un des rares Looney tunes en noir et blanc de Freleng, Notes to you... Elmer Fudd remplace le protagoniste principal, Porky Pig, et celui-ci avait une confrontation avec un chat anonyme: Sylvester a tellement de personnalité, et Mel Blanc prend un tel plaisir à massacrer des chansons avec l'inoubliable problème de diction du chat, que franchement le choix n'est pas difficile entre les deux films.