1575. Un groupe d'hommes, dans un immense palais, contemplent une immense carte, et l'un d'entre eux couvre de son ombre une importante partie de la carte, et annonce quelque chose qui ressemble beaucoup à "Aujourd'hui l'Espagne, demain le monde!" Philippe d'Espagne vient de lancer un processus qui va le conduire à défier la plus puissante nation du monde, la Grande-Bretagne, et son impressionnante reine Elizabeth. Mais dans cette séquence, où Michael Curtiz joue de l'espace, de l'ombre, de la composition et du costume (Les hommes sont tous habillés en noir et ressemblent à des dignitaires fascistes), il est difficile d'oublier que le film date de 1940, et qu'une telle volonté malsaine d'hégémonie sonne un peu trop contemporaine pour que ce soit innocent... Car, et c'est vite évident, ce Sea hawk n'a aucun rapport avec la première version tournée en 1924 par Frank Lloyd. c'est un véhicule pour Errol Flynn, dans lequel Michael Curtiz semble une fois de plus partir en mission pour les frères Warner, toujours plus rooseveltiens que la Maison Blanche, et anticiper sur l'inévitable retournement à venir: car en 1940, les Américains ne comptent pas encore s'engager dans la guerre... pour l'instant.
L'intrigue du film suit les aventures de Geoffrey Thorpe, un corsaire qui agit essentiellement pour sa reine, et qui va être aux premières loges des conflits à venir. Il va bien sur y trouver l'amour, en la personne de Dona Maria Alvarez, une noble Espagnole qui a des affinités avec l'Angleterre. En chemin, il va y avoir des combats navals, des coups de théâtre, des évasions spectaculaires, des traîtrises, et bien sur un duel fantastique. Ce film offre tout ce qu'on peut espérer d'un film de Michael Curtiz avec Errol Flynn, mais de fait, le vieux maître est inspiré! Le budget de ce film a du être colossal: le luxe visuel, le soin apporté aux décors, la beauté constante de l'image sont admirables, et Curtiz a signé le film de bout en bout: séquences de balayages d'immenses espaces remplis de figurants, scènes d'actions tournées au plus près des corps, et ombres gigantesques qui prennent la place des acteurs... Il s'est trouvé à l'aise dans cette histoire de corsaire qui doit convaincre sa reine de ne pas écouter les mauvaises personnes, et qui doit tout sacrifier s'il le faut pour un idéal plus grand que tout.
Et le film n'est bien sur pas qu'une fête esthétique, c'est aussi une impressionnante métaphore de l'urgence dans laquelle l'Europe se trouve à l'époque de la réalisation du film. Curtiz allait récidiver avec The Santa Fe Trail, mais il réussit vraiment ici à placer son intrigue du XVI e siècle Elizabethain au coeur du XXe siècle, grâce à sa première séquence, mais aussi et surtout grâce à un discours final d'Elizabeth, qui dit clairement la détermination des Anglais à dresser un rempart contre la barbarie... Et ce n'est pas un hasard si on a confié le rôle de la souveraine à une Anglaise, Flora Robson. Celle-ci est parfaite, du reste, mais elle connaissait déjà le rôle... Tout le reste de la distribution est excellent, de Henry "Le traître" Daniell, à Alan Hale en passant par le vieux copain de Curtiz Claude Rains, et Donald Crisp. On regrette l'absence de Olivia de Havilland, remplacée par Brenda Marshall (Qui?) mais la dame de compagnie de Dona Maria n'est autre que la grande Una O'Connor, qui joue, une fois n'est pas coutume, une Anglaise. Enfin, l'image bénéficie du métier de l'impeccable Sol Polito, avec un passage en sépia durant un intermède dans les mers chaudes, et la musique est signée de Erich Wolfgang Korngold: Bref, du grandiose, quoi!