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11 novembre 2024 1 11 /11 /novembre /2024 20:35

Le catholicisme d'Hitchcock n'a probablement jamais été aussi amer que dans ce film austère et dépouillé, bien différent des oeuvres flamboyantes que le metteur en scène allai tourner à la Paramount dans les années suivantes; mal-aimé en raison de son manque d'humour, mal connu aujourd'hui (Après tout, il n'y a ni Grace Kelly, ni Cary Grant, ni la musique de Bernard Herrmann. Les repères manquent sans doute, le noir et blanc - magnifique - est un autre argument qui hélas joue contre le film!) I confess est pourtant bien plus qu'un intrigant interlude dans lequel le metteur en scène se tirerait une balle dans le pied en montrant sa star en prêtre ayant fait le voeu de chasteté...

Le film commence par une séquence d'une grande rigueur qui montre le metteur en scène en pleine possession de ses moyens: à Québec, au crépuscule, on suit un parcours fléché sous l'intrigante musique chargée en appréhension de Dmitri Tiomkin: des panneaux marqués "Direction" nous indiquent littéralement la marche à suivre... et pointent vers une fenêtre ouverte. La caméra y entre, et nous dévoile un corps à terre. La caméra ressort, et nous voyons une silhouette, celle d'un homme habillé d'une soutane, qui quitte la maison. Le plan suivant montre deux témoins, deux jeunes filles, qui ont aperçu l'homme. Celui-ci se rend ensuite à l'église la plus proche, et demande au prêtre, le Père Logan, de le confesser. Il lui avoue avoir commis un meurtre, celui d'un homme qu'il venait de dévaliser. Puis l'homme s'en va, et le père Logan, empêché par le secret de la confession, ne pourra rien révéler de l'entretien... Le meurtrier, Keller (Otto Hasse), est un Allemand réfugié avec son épouse Alma (Dolly Haas) après la guerre, et il travaille justement au presbytère, où il côtoie justement le père Logan (Montgomery Clift) tous les jours. Celui-ci, on l'apprendra bien vite, connaissait la victime. L'influent Villette avait en effet, quelques années auparavant, été témoin d'une relation entre le jeune homme qui n'était qu'un séminariste, et une femme mariée, la belle Ruth Grandfort (Anne Baxter). Il faisait chanter la jeune femme, et cela donne bien entendu au jeune prêtre un motif de le tuer... car bien sûr Logan ne pouvant absolument pas trahir le secret de la confession est vite le suspect numéro 1.

On le voit, Hitchcock confronte dans ce film sa propre vision de la culpabilité partagée des hommes, avec son propre catholicisme, qui pourtant n'est jamais aussi explicitement représenté dans son cinéma. Une critique assez répandue sur I confess est d'ailleurs qu'il est assez difficile à croire que Clift puisse être un prêtre, et Hitchcock a pour sa part dit que les Américains avaient rejeté le film à cause d'une incompréhension des protestants vis-à-vis du secret de la confession. C'est un peu court, à mon avis, d'autant que le film fait comme d'habitude preuve d'une vraie pédagogie à ce sujet!

Je crois plutôt que le rejet serait plus clairement du aux difficultés du public à accepter l'apparente inaction du personnage principal. Car Logan subit une vraie crise, à tous points de vue: il est trahi par Keller, qui sans jamais directement le dénoncer va tout faire pour que les soupçons se portent sur son confesseur. Il est trahi aussi par ses sentiments qu'il doit combattre, d'autant que Ruth n'est pas décidée à complètement abandonner la compétition pour le coeur du jeune homme! Il est enfin trahi par son implication, même indirecte, dans l'affaire: il ressent une part de culpabilité de savoir sans pouvoir s'en ouvrir, et par ailleurs de ressentir la délivrance grâce la mort de Villette, n'arrange rien: on peut dire que le principal motif pour l'inspecteur Larrue (Karl Malden) de soupçonner Logan est bien sûr le fait qu'on ressent inévitablement son trouble et son sentiment de culpabilité marqués sur son front dès qu'il est en face du policier!

A côté de Logan, le personnage de Keller est véritablement scindé en deux: d'un côté Monsieur, qui se confesse à son ami Logan dans la douleur, puis rentre chez lui et se sent si léger ("Dieu m'a pardonné"!) qu'il avoue le crime à son épouse sans aucun scrupule. De l'autre, Alma, qui va elle aussi, autant que le prêtre, ressentir la culpabilité de son mari, qu'elle ne peut dénoncer, de l'intérieur. Jamais la notion de culpabilité collective, du pêché de l'un dont la faute est partagée par tous, n'aura été aussi évidente chez Hitchcock.

Bien sûr, il y a des défauts, mais le manque d'humour parfois dénoncé ne me semble pas être à proprement parler si embarrassant. Après tout, le sujet ne prête pas forcément à la rigolade non plus. Et contrairement à Topaz, un autre film d'Hitchcock souffrant de cette absence d'humour, l'histoire au moins est passionnante! Et il y a une finesse d'observation chez Hitchcock qui le pousse à user d'un ton léger, notamment dans la description de la vie quotidienne du presbytère. C'est d'ailleurs amusant de constater à quel point les prêtres, dans la fiction, sont les protagonistes les plus à l'aise pour parler du trivial: ici, on débat d'un vélo mal placé, de la couleur des murs, comme si on devait résoudre une affaire de théologie compliquée!

Non, en revanche, Hitchcock a chargé avec une certaine méchanceté le personnage de Ruth, qui n'est pas qu'une oie blanche... Elle est assez ambiguë (Anne Baxter sera-telle toujours un peu Eve Kendall sur les bords?) voire manipulatrice: elle donne parfois l'impression de vouloir utiliser l'affaire et le scandale pour tester son mariage, et éventuellement reconquérir le père Logan. Lors d'un flash-back, elle apparaît comme une femme qui pourrait bien avoir utilisé un moyen de promotion assez classique... Bref, la misogynie légendaire d'Alfred Hitchcock, parfois, est plus qu'une légende. Mais la confusion sentimentale qui entoure les rapports de Logan et de Ruth reste un des aspects forts du film, car elle nous donne à voir la tempête sous le crâne du père Logan, et si jamais le jeune homme n'évoque explicitement le moindre doute quant à sa foi,on sait que ce lien avec une femme est sans doute son principal risque. Le chemin de croix (Rendu évident par une célèbre séquence) n'en sera que plus douloureux... Et qui mieux que Montgomery Clift pour incarner la douleur?

Et il ya un final d'une forme inattendue, fait de ruptures, de passage d'un procès à une scène de foule, d'un crime inattendu à un suspense lié à la présence du héros face à un homme qui risque de le tuer, de sacrifice et de vérité qui éclate en éclaboussant un peu plus les braves gens qui étaient prêts à montrer le héros du doigt. ...Et Logan trouvera le moyen de laisser la vérité se faire connaître sans trahir la loi de la confession, ce qui confirmera une bonne fois pour toute la pertinence de sa vocation.

Film sans doute mineur au regard de l'oeuvre exceptionnelle, I confess, avec la présence dans son titre de la première personne du singulier, est bien plus qu'une simple halte: il possède de nombreux aspects intrigants, en plus d'une élégance visuelle, due largement à l'utilisation impeccable du noir et blanc de Robert Burks. Ce sera, avant The wrong man et Psycho, l'antépénultième film du metteur en scène à ne pas bénéficier de couleurs, mais c'est tellement approprié pour cette sombre quête intérieure, entre une hypothétique mais significative libération par l'amour, et un doute qui gangrène la vocation, le tout sous la tension apportée par la culpabilité fondamentale de l'homme. Encore, toujours le péché originel...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Noir