Cinq années, c'est tout ce dont a disposé Yevgueny Bauer pour s'installer à la tête du cinéma Russe avant la Révolution. En 1917, il est décédé des suites d'une blessure, et il aura marqué la jeune cinématographie de son pays à jamais. Si il sera longtemps identifié au cinéma Tsariste, c'était un homme d'ouverture, acquis aux thèses progressistes de certains démocrates de son pays, et qui savait une (Ou deux...) révolution(s) inéluctable(s). de ses nombreux films, une vingtaine subsiste aujourd'hui, qui sont autant de reflets de son style, fait de plans fouillés à l'extrême, dans lesquels une action très pensée est soulignée par un don pour le décor, les éclairages, bref la scénographie, et un certain esprit Slave est particulièrement marqué: on y parle de mort, de tragédie, de vieillissement, mais aussi de classes sociales. L'amour y est nécessairement lié à la mort...
La jeune Vera (Nina Tchernova) ne trouve pas que la vie de ses parents, des nobles très en vue dans l'aristocratie Russe, sans cesse accaparés dans des soirées et autres cocktails mondains, vaille la peine d'être vécue. Elle se languit de trouver un sens à l'existence, et se réjouit lorsque sa mère lui propose de venir avec elle pour une mission de charité: elles vont nourrir des gens qui vivent dans des baraquements insalubres. Lorsqu'elles arrivent chez Maxime Petrov (V. Demert), un homme qui vit seul, Vera est fascinée par l'homme. Lui aussi est fasciné, et bien déterminé à la revoir. De son côté, elle revoit sans cesse cette journée en rêveries, elle est donc décidée à répondre favorablement lorsqu'il l'appelle à l'aide. Mais c'est un piège, elle se rend chez lui, et il la viole. Elle prend un couteau, et le tue avant de s'enfuir. son crime ne sera jamais découvert, mais il va la hanter, à tel point qu'elle va essayer de le confesser à son fiancé, le Prince Doslki'j (A. Ugrjumov). Fou amoureux, celui-ci va pourtant très mal le prendre, que ce soit parce qu'il soit choqué par le meurtre, ou parce qu'il est abasourdi d'apprendre qu'un autre homme a déjà possédé Vera. Celle-ci s'enfuit, et va changer de vie...
C'est l'un des premiers films de Bauer, qui était dans la première année de sa carrière de metteur en scène. Il y montre les écarts entre les classe en ayant recours à un stratagème qui permet sans doute d'éloigner les censeurs: les pauvres y sont représentés comme vivant clairement au crochet des dames qui viennent leur faire la charité, et dans un plan obscur, on voit les faces grimaçantes des hommes et des femmes qui viennent de se voir distribuer la nourriture se moquer des belles dames, sans parler du comportement odieux de Maxime. Mais la cible du film, c'est malgré tout l'aristocratie dans sa superficialité et ses préjugés, à travers la réaction de rejet du Prince à l'annonce du passé trouble de la femme qui l'aime... Et on retrouve le thème omniprésent chez Bauer de l'obsession psychologique, grâce aux nombreuses scènes qui nous montrent Vera en proie au trouble; avant le crime, lorsqu'elle ressent une certaine attirance pour Maxime, et après, lorsque l'homme qu'elle aime lui apparaît comme un autre Maxime... Le film est superbement composé, dans des plans éclairés d'une façon novatrice: au fond, laissant l'action à l'avant-plan plus sombre; une façon de signifier que Bauer s'intéressait au fond des êtres. On n'en douterait pas, à la vision de ses films...