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15 août 2016 1 15 /08 /août /2016 09:56

Avec ce film, nous abordons le dernier chapitre de la carrière d'Hitchcock, qui ne s'est peut-être jamais totalement remis de l mauvaise réception de The birds. La plupart des films qu'il va faire dans ce dernier tronçon de son oeuvre n'auront pas de succès public, et la critique va beaucoup trouver à redire sur eux, à l'exception notable de Frenzy. Marnie a essuyé beaucoup de reproches, et de fait, on peut y déceler des défauts: c'est un film long, souvent bavard, un peu trop démonstratif parfois. C'est aussi la deuxième fois, après Spellbound, que le metteur en scène base une intrigue sur la psychanalyse, mais cette fois on est en plein dans les années 60, et Hitchcock ne s'arrête pas à la porte de la chambre. C'est l'une des qualités de ce film, même naïvement, il aborde la sexualité d'une façon plus frontale que jamais, et le fait avec son style inimitable. C'est aussi la dernière fois que Bernard Herrmann et Robert Burks travaillent avec le metteur en scène, donc décidément, plusieurs pages se tournent.

Le film commence par un carton joli mais austère, qui fait penser à un napperon, présentant le générique, accompagné par une musique passionnée, fougueuse, en trois parties, de Bernard Herrmann, suggérant passion, mais aussi refus et enfin abandon. Un beau, très beau motif, pour une héroïne paradoxale qui nous est ensuite dévoilée... ou presque, dans la première scène. D'abord, le silence règne sur le premier plan qui nous montre une femme avançant, de dos, sur un quai de gare, vers son train. Elle est brune, habillée de vert, porte d'élégants escarpins, et porte sous son bras un sac à main jaune pale: on ne risque pas de le manquer, puisque c'est en gros plan que nous le voyons au tout début du plan. Cet accessoire symbolisant si facilement à la fois la personnalité, le bagage, et les secrets d'une femme reviendra, bien sur, mais ce ne sera pas souvent le même, car Margaret "Marnie" Edgar change souvent: de sac à main, de couleur de cheveux, de vêtements, de carte de sécurité sociale, et de nom: elle en effet pour habitude de dérober des sommes colossales chez ses employeurs après quelques mois, avant de disparaître dans la nature. On découvre d'ailleurs son visage, celui de Tippi Hedren, au gré d'une de ces métamorphoses, lorsqu'elle se teint les cheveux en blond... Et ce, juste avant une visite à sa maman (Louise Latham) qui habite près des quais à Baltimore. Les visites sont amères pour l'une comme pour l'autre: Bernie Edgar trompe sa solitude en faisant du baby-sitting pour les enfants des voisines, et Marnie, qui donne beaucoup d'argent à sa mère, estime qu'elle pourrait se passer de cette activité. A la vérité, elle est aussi jalouse...

L'intrigue est lancée lorsque la jeune femme vient pour répondre à une offre d'emploi à la compagnie Rutland, tenue par Mark Rutland (Sean Connery), un jeune patron qui a reconnu tout de suite la jeune femme comme cette mystérieuse voleuse qui a disparu de l'entreprise de l'un de ses partenaires après avoir dévalisé les coffres... Il l'engage, tout en se doutant qu'il va avoir des problèmes avec elle. Et assez rapidement, il tombe amoureux d'elle, elle le lui rendrait bien, si elle n'avait pas autant de réticences à laisser un homme la toucher. Car Marnie est totalement, farouchement décidée à ne pas se laisser approcher par les hommes, comme elle l'admet volontiers à sa mère, qui l'approuve totalement sur ce point. Marnie se rattrape de ce refus de la sexualité en aimant passionnément les chevaux: tout son argent lui sert à soigner un cheval, son principal compagnon. Mais Mark, qui sait désormais tout des activités illégales de Marnie, la piège en lui imposant le mariage. Il va donc devoir essayer de comprendre de quel traumatisme souffre la jeune femme, à partir de quelques indices récurrents, et va devoir le faire avant que sa belle-soeur Lil (Diane Baker), jalouse, ne flanque tout par terre...

L'intrigue du film est dénuée, de façon intéressante, de la moindre confrontation avec la police, à l'exception d'une courte séquence de comédie, située au tout début; alors qu'on n'a vu Marnie que de dos, sous une épaisse chevelure brune, et se dirigeant mystérieusement vers son train, on passe à une scène au cours de laquelle Mr Strutt (Martin Gabel), partenaire de Rutland, reçoit deux inspecteurs pour leur faire part d'un vol; quand il lui demandent si il peut décrire la voleuse, il se lance dans une description détaillée, à tel point qu'elle en devient comique: Strutt, c'est manifeste, avait vraiment beaucoup regardé sa dactylo! Mais ce n'est pas pour la présence de policiers que la scène est intéressante. Elle établit d'une part le mode de fonctionnement de Marnie la voleuse, que nous verrons plus tard à l'oeuvre, tout en nous donnant à voir un personnage qui reviendra, et sera d'ailleurs accompagné d'une petite prouesse de mise en scène bien dans la manière d'Hitchcock. Donc, l'absence d'enquête de police dans cette histoire pourtant riche en matière criminelle, avec cette névrose obsessionnelle qui conduit Marnie à devenir voleuse, semble être un signe qu'il faut considérer que le vrai théâtre des opérations, ici, est d'ordre privé...

Tout en étant assez austère dans sa mise en scène (Et on fait souvent le reproche à ce film d'être faible techniquement avec ses matte paintings statiques (Le quartier portuaire à Baltimore), ses transparences embarrassantes (La scène de la chasse, pourtant cruciale, en est purement et simplement gâchée, et qu'on ne vienne pas me dire comme on le lit parfois qu'Hitchcock a fait exprès de bâcler ses effets, c'est complètement idiot!), il y a (Outre l'ouverture intrigante et magistrale) quatre scènes qui retiennent l'attention: le vol chez Rutland dans lequel Hitchcock s'adonne à son péché mignon, nous donner à voir un criminel à l'oeuvre et nous mettre d'autorité de son côté, en introduisant un grain de sable. Ici, pendant que Marnie vole adroitement les sous de son employeurs, une femme de ménage s'affaire dans la pièce à côté... une scène silencieuse et bien menée. Ensuite, bien sur, la scène de la nuit de noces qui vient tardivement durant le mariage, et pour cause, Marnie avait des réticences. Mais comme elle en a toujours Sean Connery est obligé de se livrer à ce qu'on est en doit de considérer comme un viol. Hitchcock utilise le cadrage pour nous cacher bien sur ce qu'il n'a pas le droit de montrer, mais la scène est rendue inattendue par le silence, et l'immobilité complète de Tippi Hedren... Une réception chez les Rutland se transforme en scène à suspense car Lil, la belle-soeur jalouse, s'est renseignée sur la nouvelle Mrs Rutland, et a invité Mr Strutt. On le découvre dans un magnifique plan, un travelling avant en plongée, sur une porte qui s'ouvre, et Mr Strutt qui entre. Dans le cadre, Lil, la seule des personnes de la réception à porter une robe orange de couleur vive... Ce type de plan a déjà servi avec bonheur dans Young and innocent et Notorious. La dernière scène notable, parfois un peu gauche (Tippi Hedren montre ses limites lorsqu'il lui fait interpréter une femme adulte qui se prend pour une enfant de cinq ans!) est la révélation finale sur la source du trouble de Marnie, une histoire que seule sa mère peut rappeler. Un tour de force sur certains points, avec flash-backs, du sang, et Louise Latham qui est purement extraordinaire.

Le film ouvre plus de portes qu'autre chose; la façon dont les personnages se saisissent du traumatisme et le résolvent, sans aide extérieure, est probablement naïve, l"idée aussi qu'un refus de la sexualité, donc de se plier à un diktat masculin, soit nécessairement du à un traumatisme, peut embarrasser ou faire sourire. Mais si on passera sur le fait que sans Mark Rutland, ni Marnie ni sa mère n'auraient été capables de résoudre l'énigme, il est gonflé pour Hitchcock de donner au jeune acteur un rôle risqué, qui pouvait tout à fait le faire passer pour un violeur. Mais Sean Connery n'a aucune difficulté à faire passer l'ambiguïté de son personnage, et Marnie ouvre ainsi une nouvelle page dans la liste des coups de boutoir à la censure perpétrés par Alfred Hitchcock, en même temps qu'il fournit un film attachant, ce que les deux suivants ne seront pas, mais alors pas du tout.

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock