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3 septembre 2016 6 03 /09 /septembre /2016 17:01

Dans une station près du pôle Nord, une équipe scientifique est confrontée à un phénomène inattendu: un vaisseau volant non identifié s'est écrasé sur la banquise, il faut aller l'étudier... Justement, un avion militaire vient de se poser sur la base, et parmi ses occupants, figure un journaliste. Durant la reconnaissance, le vaisseau est perdu, mais les occupants de la base récupèrent le corps d'un des "aliens" dans un bloc de glace, et le ramènent à la station... c'est une erreur fatale, et scientifiques d'un côté, militaires de l'autre, vont se déchirer autour de "la chose", qui en dépit de la température, est bien vivante... Et passablement remontée.

Regarder ce film, c'est assister à la naissance de tout un genre. Le style qui est en oeuvre est un mélange subtil et très efficace de suspense savamment distillé, de scènes de la vie quotidienne des gens qui sont coincés sur les glaces, par des températures inhumaines, mais qui gardent leur humour, leur chaleur humaine aussi, et leur faculté, surtout, à faire leur travail. Et l'excellente idée du film, est d'avoir évité une surexposition du fantastique, et d'avoir privilégié une approche austère, qui retarde les effets et les transforme en des fulgurances. Ne détournez pas votre attention, ou vous allez rater l'apparition de la créature! ...C'est d'ailleurs l'un des aspects les plus décevants du film: l'extra-terrestre de ce film ne ressemble pas à autre chose qu'à un cascadeur maquillé dans un costume d'explorateur intergalactique à la mode 1951! Heureusement qu'on le voit peu, finalement.

Le film se nourrit d'une thématique classique dans les films dits d'action, à savoir le conflit entre la science et l'armée, entre protection aveugle de la population, et soif d'explorer. Le personnage qui illustre le parti-pris évident de la production est le docteur Carrington, qui est le principal responsable de la mission scientifique. C'est lui qui va se passionner pour "la chose", et découvrir en particulier son mode de fonctionnement, sa nature et le danger qu'il représente, mais aussi et surtout la supériorité de son mode de vie littéralement végétal. Et Carrington, oubliant toute compassion pour l'humanité, va se muer en un admirateur forcené de la bestiole, et tout faire pour l'étudier, quitte à l'aider dans ses noirs desseins. Et pire, à un moment crucial, il va se rendre coupable d'une certaine forme de traîtrise: il va essayer de pactiser avec l'envahisseur, bref: c'est non seulement un intellectuel, c'est aussi un pacifiste. Le film adopte par contre le point de vue du militaire de base: tu ne connais pas, tu flingues.

Et c'est là que décidément, le film n'en finit pas de rejoindre l'univers de Howard Hawks. On assiste tout d'abord à la vie à la dure d'un groupe humain dominé par les hommes (Deux femmes seulement, assistantes des scientifiques, et l'une d'entre elles sert le café... Pourtant cette dernière, interprétée par Margaret Sheridan, est une héroïne Hawksienne en diable, rompue à cette vie masculine, et qui a le verbe haut), qui sont tous des professionnels. Mais si c'est vrai aussi des scientifiques, les "crânes d'oeuf", leur professionnalisme ne les excuse jamais de s'être trop éloignés des réalités, et dans le cas du docteur Carrington (Robert Cornthwaite), non seulement il met tout le monde en danger, en allant jusqu'à proposer le sacrifice de tous les humains de la base afin de permettre à une créature évoluée de vivre, mais il est doté d'une froideur, d'une admiration contre-nature pour cette bestiole privée d'émotions et de passions, qui sont bien anti-Américaines. Suivez mon regard, comme dirait l'autre: le Dr Carrington ne porte-t-il pas une chapka? Quant à la presse, incarné par un journaliste venu sur la base presque par hasard, il lui est légitime de râler en permanence qu'on l'empêche de faire son travail, mais il est félicité lorsqu'il envoie un article dans lequel il fait des "petits arrangements avec la vérité", pour le bien commun. Enfin, toujours pour rester dans l'univers du réalisateur de Rio Bravo, le relatif huis-clos montre un groupe attaqué de l'extérieur et qui trouve en ses ressources professionnelles le moyen de répliquer à une menace. Ca rappelle décidément des souvenirs...

Tout aussi Hawksien, est le mode de mise en scène qui privilégie des plans efficaces, un découpage linéaire, un cadrage à hauteur d'hommes, une diction rapide, des conversations sur un débit mitraillettes, et rendues encore plus naturelles par le fait que tout le monde parle les uns par-dessus les autres... Alors on en vient à l'inévitable question qui hante le film: Nyby (Seul crédité au générique), ou Hawks (Qui a toujours mollement démenti avoir réalisé le film, avec une certaine ambiguïté quand même)? Peu importe après tout: Nyby et Hawks étaient tous les deux sur le plateau et Hawks surveillait de près sa production, donc...

La naissance d'un style et d'un genre, disais-je... C'est aussi, avec ce film classique dépourvu de stars et qui adopte l'économie et l'efficacité de la série B, la naissance d'un amalgame qui allait faire les beaux jours d'un certain cinéma fantastique: car lorsque le journaliste Scotty (Douglas Spencer), à la fin, envoie enfin un message à l'extérieur, après avoir tant attendu pour faire profiter les autres humains de l'extraordinaire découverte qui vient d'avoir lieu, et de l'aventure qui a suivi, il leur demande instamment de ne jamais négliger de "regarder le ciel". Bref, de faire attention! Pendant toute la décennie, le cinéma de Science-fiction épousera avec conviction, et une redoutable efficacité, le point de vue américain de la guerre froide...

The thing from another world (Christian Nyby, Howard Hawks, 1951)
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Published by François Massarelli - dans Howard Hawks Science-fiction