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5 mai 2017 5 05 /05 /mai /2017 10:59

Le dernier film Américain de Lang, bien que noir, et proche de M par son approche d'un sujet aussi complexe et "langien" que la peine de mort, est certainement parmi les plus clivants de son oeuvre! Certains critiques lui sont tombés dessus à boulets rouges à sa sortie, et aujourd'hui les avis sont encore partagés... Il serait une erreur d'imaginer que ce film prenne d'ailleurs vraiment parti pour ou contre la peine de mort, comme M d'ailleurs: les deux films prennent prétexte du débat sur la peine capitale, pour évoquer la justice, l'un à hauteur d'un homme, cet assassin qu'on cherche, qu'on traque, et qu'on séquestre, dont on interroge la posture de victime: de lui et ses pulsions, de ses kidnappeurs, qui sont les criminels? l'autre film situe le débat dans la sphère judiciaire, c'est-à-dire dans un univers policé où on est supposé voir plus clair, mais... ce ne sera pourtant pas le cas.

Tom Garrett (Dana Andrews) est un écrivain, et son meilleur ami, Austin Spencer (Sidney Blackmer), le patron du journal qui l'a longtemps employé, est un fervent militant contre la peine de mort. Il cherche à attirer son ami à sa cause, et celui-ci accepte de collaborer avec lui, d'autant qu'il est préoccupé par la possibilité d'envoyer un innocent à la chaise électrique. On parle en France, de "preuves à l'appui", la formule légale récurrente en Anglais est "beyond a reasonable doubt"', l'accusé doit être considéré comme coupable "au-delà d'un "doute raisonnable". C'est cette notion de "doute raisonnable", qu'ils veulent explorer: et si on fabriquait un coupable, pour guider la justice dans la mauvaise direction, et prouver ensuite au terme d'un procès bien huilé que la justice s'est faite avoir et s'apprête à condamner un innocent... Tom Garrett, l'écrivain sans histoire, va donc être le cobaye de l'expérience, et les deux hommes trouvent un crime inexpliqué, qui est parfait pour leur dessein: ils vont donc s'acharner à faire de Tom le seul coupable possible, en inventant des preuves de sa culpabilité... Tout va se dérouler comme prévu, jusqu'à ce que Spencer, qui porte les clichés et les preuves sur lui, soit victime d'un accident de voiture, et bien sur celle-ci est carbonisée...

Avec les preuves, bien sur.

Une motivation supplémentaire pour Tom Garrett qui va bien sur compliquer les choses, est qu'il est prévu qu'il se marie avec la belle Susan Spencer (Joan Fontaine), la fille d'Austin, qui n'est pas mise au courant de la machination et qui bien entendu doit voir son fiancé se comporter d'une manière inattendue: pour commencer, la victime du meurtre "exploité" par les deux héros est une strip-teaseuse, donc Tom doit fréquenter ce milieu, ce qui ne va pas arranger les choses.

On a donc un genre de suspense lié à l'issue du procès, rendu d'autant plus palpable que Garrett a perdu avec Austin toute chance de faire valoir sa vérité... Mais il y a aussi une exploration du mode de fonctionnement de la justice, et de la gravité de l'acte de condamnation: comme le dit le juge qui s'apprête à condamner Tom Garrett, en entendant sa version des faits (Après la mort de Spencer, il est bien obligé de parler de la machination), "ça m'a l'air bien invraisemblable, mais la vie d'un homme est en jeu". Alors bien sur, on peut quand même penser que cette machination tirée par les cheveux est absolument baroque, délirante, bien qu'elle ait été depuis supplantée en n'importe quoi par le fameux contre-exemple filmique qu'est Life of David Gale... Mais cette idée saugrenue nous permet d'évaluer le travail de la justice, approcher aussi et surtout une dimension inattendue de la justice: une dimension privée. Car dans ce film, il y a un homme qui agit d'une façon peu banale, pour des raisons très personnelles, et clairement, c'est mal... Mais je ne peux pas en dire plus.

Enfin, ce film situe son intrigue en plein sur la notion de culpabilité, car on nous montre bien comment on peut fabriquer un coupable, comment n'importe qui finalement, peut être accusé de n'importe quoi, ce sera toujours plausible. La culpabilité chez Lang (Voir Metropolis et Fury à ce sujet, entre autres) est un phénomène très partagé, en effet...

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Published by François Massarelli - dans Noir Fritz Lang