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23 juin 2017 5 23 /06 /juin /2017 08:19

A Los Angeles, de nos jours, nous assistons à la rencontre de deux jeunes gens désireux de percer: Mia (Emma Stone) veut devenir actrice depuis toujours, ce qui lui a fait quitter son Nevada natal et depuis elle a réussi à se rapprocher, en faisant un petit boulot de serveuse dans une cafétéria proche des studios, et enchaîne les passages obligés: audition sur audition, soirée sur soirée... Sebastian (Ryan Gosling) a quant à lui une passion dévorante pour le jazz, un mode d'expression qu'il estime en voie de disparition. Il se verrait bien en sauveur et ambitionne d'ouvrir dans un lieu historique un club de jazz, un vrai. En attendant, eh bien... piano bar: plus "Jingle bells' que "Now's the time', en fait...

Et en fait, c'est tout. Ou presque: ajoutons que ces deux-là font des étincelles ensemble, et se soutiennent mutuellement, jusqu'à ce que... le succès de l'un ou de l'autre vienne gâcher la fête.

Car sinon, y a-t-il vraiment un enjeu dans ce film? Je pense que oui, mais ce ne sera pas dans l'intrigue ni dans les personnages, aussi réussis soient-ils. On n'échappe pas aux clichés... En même temps, c'est Los Angeles, donc le cliché est partout! Mais l'enjeu de ce film, c'est de reprendre le flambeau de la comédie musicale, la belle, la vraie, celle qui chante sous la pluie, qui prenait des chemins inattendus aux moments les plus loufoques, celle dans laquelle deux personnages qui sont en train de se parler glissent tout à coup en mode Fred Astaire / Ginger Rogers...

Ou plutôt en mode Gene Kelly / Cyd Charisse tant la dette de Chazelle pour les musicals de la MGM, ceux produits par Arthur Freed et mis en scène par Kelly, Vincente Minnelli ou Stanley Donen, est évidente! Minnelli en particulier, dont le style baroque est clairement référencé dans un grand final qui récapitule en re-développant les thèmes du film en version rose. C'est l'une des belles idées du film, d'ailleurs; Chazelle qui a voulu rester dans son intrigue aussi réaliste que possible (D'où une impression occasionnelle de ronronnement, par exemple lorsqu'on assiste à la scène inévitable de l'engueulade autour d'un repas) a donc choisi de faire passer ses personnages par des destins contrariés, et maintient un profil pessimiste quant aux chances de ces deux-là de finir ensemble. Ca ne l'empêche pas de nous donner à voir, par la danse, une alternative séduisante qui passe par toutes les couleurs de l'optimisme... et par Paris.

Pour le reste, la magie de la comédie musicale fait comme la jeune fille: elle opère. Dès le début, on apprécie une scène enlevée de ballet qui surgit d'un embouteillage et qui passe par un plan-séquence bouillonnant,  et un parti-pris qui me réjouit: ces danseurs ne sont pas des machines athlétiques ni des rats de conservatoire, ce sont des gens avec des corps certes opérationnels, mais qui les font ressembler à tout un chacun. Comme Gosling et Stone, qui ne sont pas des danseurs! Ce ne sont pas des chanteurs non plus, mais il y a du charme y compris dans la gaucherie, avec une caméra qui sait rester à distance, et des effets spéciaux qui savent ajouter la magie nécessaire sans jamais en faire trop... Mais par contre, on n'échappe pas aux clichés du jazz-dans-les-films: "name-dropping": 'Bien sur que j'aime le jazz: Charlie Parker, Chick Webb'... Argot: 'my man!'... Souffrance du pianiste de fond lorsque au lieu de jouer ce qu'il aime, il doit jouer Jingle Bells... Ignorance crasse des gens qui confinent au mépris, ou fans transis qui... dansent sur du be-bop. Ce dernier est sans doute le plus difficile à avaler! Mais on a le bon goût de nous montrer Ryan Gosling en obsédé de la note juste qui répète jusqu'à l'épuisement un passage forcément difficile de Japanese Folk Song, interprété par Thelonious Monk (Extrait de Straight no chaser, 1967)...

Bon inévitablement, il va falloir le dire: non, ce film n'invente pas grand chose et ne sauve rien. La comédie musicale à l'ancienne n'a pas besoin d'être sauvée, les films ont juste besoin d'être vus... et parfois d'être réalisés. Merci à Damien Chazelle d'avoir tenté sa chance et réussi dans la mesure où le succès a été au rendez-vous. Mais il n'a pas fait un film inoubliable, loin de là: pour commencer, qui dit comédie musicale dit chansons, et je n'en ai pas entendu une seule qui me semble mériter de rester dans les annales. Elles sont tout au plus fonctionnelles. Cela dit, le réalisateur se rattrape avec certains parti-pris, comme je l'ai déjà dit, et avec un jeu obsessionnel sur le temps, véritable thème directeur en même temps que fil rouge structurel. Les événements suivent une trame chronologique, annoncée par des cartons simples: hiver, printemps cinq ans plus tard... c'est d'autant plus nécessaire qu'en Californie on porte des shorts en décembre, bien sur! Mais tout ce qui se rapporte aux personnages renvoie au temps: la nostalgie, inévitable à LA alors qu'on y détruit tout en permanence, et présentée comme le thème principal de la pièce avec laquelle Mia tente de percer; le rappel constant de la voie d'extinction du jazz; le destin des monuments, lieux de spectacle et autres lieux; Mia et Sebastian assistent à une projection de Rebel without a cause, et veulent prolonger ce qu'ils ont vu (avant que la pellicule ne craque) en se rendant à l'observatoire du parc Griffith: Chazelle imite directement le plan du film de Nicholas ray en nous montrant la voiture qui arrive à l'observatoire! la comparaison devient inévitable, c'est une jolie idée... Mais deux ou trois séquences plus tard, Mia passe en voiture devant le cinéma où ils se sont rendus: il est fermé...

Tout a une fin. Bon, si c'est le message, lui non plus n'est pas révolutionnaire... Mais c'est le pari, ainsi que l'écueil, du film: tenter d'infiltrer un genre baroque entre tous en racontant des histoires... raisonnables. Puis réussir, contre vents et marées, à y insuffler, ne serait-ce qu'un instant, un brin de magie et de charme. Bref: bref, refaire ce qu'a voulu faire Scorsese dans son désastreux New York, New York... mais en bien mieux.

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Published by François Massarelli - dans Ryan Gosling Musical Danse