J'ai déjà dit ici où la que la sincérité de Cecil B. DeMille mettant en scène un Jésus blond (The King of kings, 1927) à prendre au premier degré, ou un Moïse barbu descendant la montagne -The ten commandments, 1923 et 1956), ses tables de la loi sur l'épaule, ne saurait être mise en doute. Par contre, celle du même metteur en scène, organisant des orgies pour la Paramount en 1932, c'est une autre paire de manches...
D'ailleurs, c'est remarquable: quand l'ancien directeur général du studio, co-fondateur avec Jesse Lasky, rejoint la Paramount après huit ans de bouderie, il vient d'enchaîner échec sur échec avec son dernier muet pour Pathé (The Godless Girl, 1928), et ses trois premiers parlants pour MGM (Dynamite, 1929; Madam Satan, 1930; The squaw man, 1931). A l'heure où le cinéma parlant rebat les cartes et de façon cruelle pour les vétérans, non seulement on lui ouvre toutes grandes les portes qu'on a refermées sur Griffith et Stroheim, mais en prime on lui alloue un budget faramineux avec carte blanche pour les caprices.
Et pour raconter quoi? Il ne faut pas attendre longtemps pour reconnaître Quo Vadis derrière The sign of the Cross. Si ce n'est que le film commence au moment où Rome brûle... Néron (Charles Laughton avec un faux nez qui vous fera mal aux yeux) déclame sa poésie atroce, sur fond de flamme et de surimpressions dues à un grand nom, celui de Karl Strüss. Le ton est donné: une histoire grandiloquente, à côté de la plaque, et des techniciens à leur sommet. Le ridicule des mots, et le luxe des moyens... Sans oublier le baroque absolu de ce film, dans lequel on se livre à des excès que je détaille plus loin. Mais à la fin, pas avant...
Tout ça donc pour raconter une histoire de chrétiens pris dans les filets d'un système étatique sadique, dans les mains d'une populace qui n'aime rien tant que les massacres d'êtres humains dans l'arène, les combats de gladiateurs, et j'en passe. Mais Marcus (Fredric March), le préfet Romain zélé qui a rencontré la belle Mercia (Elissa Landi), va-t-il se convertir, où va-t-il garder jalousement la belle Chrétienne avec lui pour la noyer dans la débauche? Vous en connaissez la réponse: comme souvent, chez DeMille, les prêcheurs impénitents et fanatiques ont la peau dure, et Mercia est bien de cette trempe. Le film prend parti pour elle et sa troupe, mais assez mollement, et pour cause...
Car vous vous rappelez, quand il était question de cette populace sadique quelques lignes plus haut, je rappelais à quel point ils étaient friands de scènes sadiques. Oui, mais s'agit-il des Romains montrés dans le film (Telle cette famille qui a hâte de "sentir l'odeur du sang des Chrétiens"), ou du public de 1932 qui a fait un triomphe au film? Ceux-là savaient-ils qu'ils étaient caricaturés par avance dans le film?
...Savaient-ils que le film ne devrait sa notoriété qu'à ses excès, et absolument pas à ses qualités techniques? Car ne cherchez pas, le scénario de ce film est un tas de boue à faire fuir les cochons. Rien à voir. Ou plutôt si, justement:
Des forts-à-bras à demi-nus, qui poussent des charrettes en pleine rue, ou qui s'empoignent dans l'arène: des éphèbes nus qui attendent que tout ça se passe, aux pieds de Néron; une danse lascive et indicative du lesbianisme tel que les puritains de 1932 l'imaginent: des robes qui ne tiennent que par miracle; des amazones en peaux de bêtes qui combattent des pygmées (tous les acteurs de petite taille qui n'étaient pas sur Freaks, maquillés en noir), dont un se fait proprement décapiter; un chrétien exécuté en se faisant écraser la tête par un éléphant; le festin des félins; des crocodiles qui mangent de la jeune femme nue; un orang-outan qui s'amuse avec le plat de l'item précédent...
J'ai failli oublier: Claudette Colbert, à poil dans une piscine de lait d'ânesse.
Pour de vrai.
Donc si on cherche la source du soupçon selon lequel Cecil B. DeMille avait parfois le mauvais goût bien vivace, je crois qu'il n'est pas nécessaire d'aller chercher plus loin. Mais on pourra toujours ajouter qu'il savait ce qu'il faisait: son but était de tout faire pour montrer son pouvoir sur le public, afin de retrouver la position de toute-puissance qui était la sienne avant la fâcherie avec la Paramount.
Pari gagné.