Curieusement, ce film est un peu passé inaperçu, entre le diptyque de la seconde guerre mondiale qui l'a précédé (Flags of our fathers, et Letters from Iwo Jima, 2006) d'une part, et les deux gros succès publics qui l'ont suivi (Gran Torino, 2008, et Invictus, 2009). C'est pourtant un film passionnant, tant par sa recréation d'une période-clé de l'histoire Américaine, que par sa thématique qui le met en cousinage avec bien des films importants d'Eastwood, et aussi par le fait qu'à mon avis c'est le film le plus dur, le plus violent, le plus noir de son auteur.
Los Angeles, 1928: Christine Collins (Angelina Jolie) vit seule avec son fils Walter depuis sa naissance: le père, selon elle, a eu peur de la responsabilité... Pas elle toutefois: elle l'élève, et lui consacre tout son temps libre, tout en travaillant à un poste à responsabilité. Un jour, elle rentre, et Walter n'est pas là. La police intervient, on le cherche, mais il ne donne aucun signe de vie. La presse s'intéresse à son cas, et un pasteur parti en guerre contre les forces de police locales, le révérend Briegleb (John Malovich), lui apporte son soutien. Quand le Lieutenant Jones (Jeffrey Donovan) lui annonce que son fils est retrouvé, Christine a la surprise de voir arriver un garçon qui n'est pas Walter. La police refuse de reconnaître son erreur, et quand elle s'entête, Christine finit dans une institution pour malades mentaux... Pendant ce temps, l'inspecteur Ybarra (Michael Kelly) fait dans le cadre d'une enquête routinière une découverte inattendue, et très choquante...
L'histoire est vraie, et probablement aussi un brin exagérée: le film était prévu au départ pour Ron Howard, et on sait que ni celui-ci ni Clint Eastwood ne prennent de gants quand il s'agit de mettre un grain de sel personnel dans leurs films; et justement, Eastwood retrouve ici le thème de la mise en danger des enfants, qui est souvent présent dans des films comme A perfect world, Gran Torino ou bien sûr Mystic River. Ce dernier a d'ailleurs beaucoup de points communs avec Changeling... A commencer par le côté âpre, et un certain parfum de vengeance.
Pourtant Angelina Jolie a joué Christine Collins avec énormément de retenue, comme une personne qui ne dit jamais un mot plus haut que l'autre... Tout le contraire des malfaiteurs qui cherchent la vengeance dans Mystic River. C'est que l'héroïne, une femme seule qui a élevé son fils toute seule, et qui travaille, est une femme du jazz age, cette période durant laquelle les Etats-Unis deviennent enfin modernes. Modernes, et particulièrement corrompus, comme le film le dit et le redit (un peu lourdement du reste) à travers l'exemple des forces de police. Un autre thème qui parcourt l'oeuvre d'Eastwood...
La mise en scène est du Eastwood pur et dur, avec l'efficacité qu'on lui connaît, la simplicité des mouvements de caméra, le naturel des acteurs, et les idées de montage parfois farfelue (deux procès vus en montage parallèle, qui rendent une séquence parfois difficile à comprendre). Mais le metteur en scène est à l'aise devant cette histoire de femme qui s'est prise en mains, et qui devient victime d'une erreur judiciaire délibérée. les corps constitués en prennent pour leur grade, comme toujours, mais les passages les plus étonnants et les plus durs (même si le passage à l'asile est particulièrement violent) concerne la deuxième partie, et la découverte d'une ferme avec un charnier contenant les restes de quinze enfants. Et il y a au bout du film, une exécution...
Je laisse la parole à Eastwood: "In a perfect world, the death penalty would be an ideal punishment for such a crime", dit-il, interrogé sur le film par Samuel Blumenfeld du Monde; dans un monde parfait, il estime que le crime horrible dont il est question dans le film serait une occasion justifiée de pratiquer la peine de mort, mais comme il l'a lui-même montré dans son film True Crime, la peine capitale est toujours l'objet de soupçons (ce qui n'est pas le cas ici, le type est vraiment un monstre), ou tout bonnement insupportable en soi. La scène de l'exécution est absolument insupportable, quels que soient les crimes commis...
Comme dans tous ses films, il y a des longueurs, des petits soucis de cohérence, et des rôles un peu limites (le lieutenant Jones, qui vire très vite à la caricature), mais il ne rate pas ses cibles. On le quitte vidé, choqué, mais en choisissant de traiter une affaire qui ne sera jamais totalement élucidée, en en faisant le portrait d'une femme en lutte contre la corruption et l'injustice, Eastwood a réalisé un film courageux, accompli, et totalement prenant. .