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5 janvier 2018 5 05 /01 /janvier /2018 15:47

Adaptant en 1948 Manon Lescaut de l'Abbé Prévost, je doute que Clouzot ait sélectionné au hasard de le situer en pleine tourmente de l'après-guerre, et de faire finir les deux amants dans le désert brûlant, en route vers une Palestine qu'ils ne rejoindront jamais. Le réalisateur n'a pas qu'une histoire à raconter, il a aussi des comptes à régler...

Fin des années 40. Sur un bateau Français qui entre autres marchandises, aide des juifs d'Europe centrale vers leur exode pour la Palestine, on découvre deux passagers clandestins: Robert Desgrieux (Michel Auclair) et Manon Lescaut (Cécile Aubry) ne sont pas que des amoureux en fuite. Lui a tué un homme, Léon (Serge Reggiani), le frère de Manon, et elle l'a suivi. Ils racontent leur histoire, depuis la rencontre au début de la libération, quand Desgrieux a plus ou moins malgré lui aidé Manon à échapper à la tonte... Un début marquant pour une descente aux enfers pour lui, à la poursuite d'un amour qui ne leur apportera que des ennuis.

Au beau milieu de la liesse populaire, l'histoire amère, grinçante, méchante même de ces amoureux qui ne savent même pas pourquoi ils se sont sautés dessus, dans une église en ruine dont toutes les statues avaient plutôt l'air de leur rire au nez, détonne un peu. Mais ce que Clouzot montre avec cette histoire qui est d'un noir absolu, c'est un monde qui tourne mal, devenant après la libération la proie des profiteurs de tout poil, avant que toute illusion et tout idéalisme (Desgrieux ne manque ni de l'un ni de l'autre, il est résistant, et il voit tout en rose dans un premier temps) ne finissent par laisser la place à l'instinct de survie.

Et le metteur en scène dresse un parallèle très dur entre les deux amants paumés, qui ont fui les conséquences de la futilité et de l'immaturité de Manon (Je résume), et ces réfugiés qui ont fui le rejet qui a suivi le génocide, pour se rendre sur une terre où on ne veut absolument pas d'eux. C'est gonflé, et ça n'a rien de politique: j'entends d'ici les choeurs de protestation totalement vide de sens dès qu'il est question de la formation d'Israël... La situation d'extrême misère de ces réfugiés est un fait, le metteur en scène ne l'a pas inventée. Par contre, le fait de mettre avec eux les deux héros romantiques passés à la moulinette de son humour grinçant, me laisse un peu maussade.

Le film est relativement court: à 100 mn, on sent un montage qui a dû être resserré. tant mieux, car dans cette version, on sent suffisamment à quel point l'auteur ne porte pas ses personnages dans son coeur. Auclair malgré tout est impeccable, et Reggiani aussi. Je suis bien sûr plus mitigé pour Cécile Aubry, dont on devine que Clouzot a dû être horrible avec elle. Mais elle est plus irritante que convaincante. Comme souvent, l'atmosphère du film et sa collection de personnages de second plan donnent beaucoup au film. Je pense ici à Dalban, en marin sans scrupules, qui donne le ton du film: il rançonne les deux passagers clandestins pour leur permettre de se retrouver. Il est splendide. On se rappellera aussi de Gabrielle Dorziat en tenancière d'un établissement pour adultes, qui après avoir parlé un français des plus châtiés lâche à propos de Michel Auclair un "Mais c'est qui ce petit con? Merde alors, quel bordel" de toute beauté...

C'est un film important pour le metteur en scène, mais c'es aussi une preuve qu'il allait d'abord devoir évacuer le fantôme de son mauvais traitement de 1944/1945 avant de pouvoir retourner à un cinéma, disons, plus apaisé... Clouzot avait vraiment la rancune tenace, puisque son film suivant, le segment Le retour de Jean du film collectif Le retour à la vie, allait lui aussi se situer dans une après-guerre vue d'un angle particulièrement féroce...

 

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Published by François Massarelli - dans Henri-Georges Clouzot