C'est à la fin de son contrat avec la First National, qui distribuait les "Mary Pickford productions", que Mary Pickford a mis en chantier ce film, avec son équipe habituelle. Le réalisateur en est le déjà chevronné vétéran Sidney Franklin, dont on peut quand même dire que même si ce n'est pas un Ford, un Murnau ou un Borzage, ce n'est quand même pas n'importe qui, et sa patte (la qualité!) se ressent du début à la fin du film. Charles Rosher est à la caméra et là aussi c'est une valeur sûre qu'on ne présente plus... Le film est une comédie qui se pare d'un message humaniste de bon aloi, bien présenté au milieu de plusieurs intrigues savamment organisées entre elles:
Alexander Guthrie (Ralph Lewis) est un puissant financier, sans scrupules ni limites, qui n'est pas spécialement dérangé par le fait d'écraser littéralement les autres. Il croit en la loi de la jungle et n'a que mépris pour les pauvres. Sa petite-fille vit avec lui, et Amy Burke (Mary Pickford) n'est pas loin de partager les idées de son grand-père. Mais elle s'ennuie... Du coup, quand son père, (Dwight Crittenden) un chercheur en sociologie qui voyage beaucoup dans le cadre de ses recherches, vient passer le week-end, elle le supplie de l'amener avec lui.
Le problème, c'est que le père se rend dans les bas-fonds du'ne ville moderne, afin de vivre l'expérience des gens qui n'ont pas d'autre choix que d'y habiter, et Amy va devoir s'habituer à de toutes autres circonstances que celles dans lesquelles elle a vécu jusqu'à présent. Elle va aussi découvrir le monde, et "see how the other half live", selon l'expression consacrée: voir comment les autres vivent...
Outre cette expérience qui va particulièrement ouvrir les yeux de la jeune Amy, on s'intéresse à d'autres habitants de la rue mal-famée choisie par John Burke: William Turner, un jeune homme dont on va vite apprendre qu'il a été l'une des "victimes" de la méchanceté du vieux Guthrie, et qui n'est pas indifférent à la jeune Amy; les deux voisins ennemis, O'Shaughnessy (Andrew Arbuckle), l'Irlandais et Isaacs (Max Davidson), le Juif, qui passent leur temps à se battre et qu'il va falloir tenter de réconcilier; enfin, Peter Cooper est un mystérieux inconnu venu quelques temps après Amy, et qui va s'humaniser à son contact, tout comme la jeune femme va commencer à développer une véritable empathie pour son prochain. Bien sûr, on n'aura aucune difficulté à reconnaître Ralph Lewis en Peter Cooper: c'est Alexander Guthrie qui vient surveiller sa petite fille dans sa nouvelle vie, et qui va lui aussi changer.
C'est tout sauf une leçon de morale: c'est une fois de plus un film dominé par l'énergie de Mary Pickford, qui montre un vrai humanisme comme elle le fera si souvent, quelles que soient les conditions dickensiennes et les clichés conservateurs de ses films. Mary Pickford y vit au milieu d'un authentique melting pot où tout le monde se serre les coudes, et fraternise, même les "voisins ennemis" mentionnés plus haut... Et c'est aussi et surtout une comédie, qui vire parfois au slapstick (Un accident de voiture au début, sans gravité mais traité à toute vitesse comme il se doit, une série de scènes de jeu entre Mary et les enfants locaux), et qui est toujours marquée d'abord par le jeu, avant les intertitres. C'est du grand cinéma muet, lisible et totalement soigné, dans lequel on finit par oublier le studio, pour se laisser aller à la tendresse de l'ensemble. Bref, c'est fabuleux.