Un matin comme les autres, dans une sorte de petit paradis rugueux, entre bois, lac et montagne, d'un coin de l'état de Washington. Pete Martell ne sait pas qu'en se rendant aux bords du lac, pour y pêcher, qu'il va y trouver un drôle de poisson. Le corps d'une jeune femme, Laura Palmer (Sheryll Lee), nue, assassinée et... enveloppée de plastique.
Ces derniers mots, prononcés au téléphone après quelques minutes seulement, sont à l'origine d'une tempête télévisuelle comme il y en a eu rarement, et qui se poursuit aujourd'hui.
Virtuellement, toute la télévision d'aujourd'hui, ou ce qui en tient lieu, de HBO à Netflix, tient dans ce "Wrapped in plastic" prononcé par Pete Martell (Jack Nance), hagard, au shérif Harry S. Truman (Michael Ontkean). Et pour commencer, la première conséquence de cet enchaînement de coups de théâtre, rondement menés, sera que le public accroché du premier coup va faire un triomphe à la série Twin Peaks...
On y suit (plus ou moins) l'enquête menée par le shérif Truman, qui est confronté à des rebondissements qui le laissent complètement à côté de la plaque, mais surtout par l'intrigant, l'étrange, le flamboyant Dale Cooper (Kyle McLachlan), agent du FBI qui est aussi fantasque du reste que l'investigation elle-même. Sous couvert d'enquête policière et d'enchaînement de péripéties, on se paie une croisière de luxe au pays peu reluisant de l'âme profonde Américaine, celle qui vit dans les bois, qui mange de la tarte aux pommes, et qui tire sur tout ce qui bouge, tout en fustigeant les moeurs fortement dissolues de la jeunesse. Tout le monde à Twin Peaks a un ou plusieurs squelettes dans le placard, et tant qu'on est à énumérer, tout le monde a aussi, semble-t-il, un estropié, ou un handicapé à la maison. Ceux qui ont fréquenté les films de Luis Bunuel savent que ça ne présage rien de bon...
Cette descente rigolarde et pince-sans-rire aux enfers de l'Amérique profonde, à travers ses diners et ses coffee houses se pare des plus beaux atours du soap opera, interprété dans un semblant de premier degré impressionnant, ce qui n'empêche jamais le spectateur attentif de trouver de quoi rire. Et ce dès ce pilote... Les personnages les plus excentriques de la série ne sont pas encore tous là (à commencer par David Lynch en agent du FBI sourd comme un pot, ou les développements les plus inattendus du personnage de Nadine, über-matrone aux super-pouvoirs qui sème la terreur sur le campus lors de scènes des plus mémorables...), mais au moins on a Dale Cooper... Et le personnage de détective venu de la grande ville, qui tombe amoureux de la petite communauté de Twin Peaks (mais pourquoi, d'ailleurs?), lui aussi, possède son lot d'idiosyncrasies, entre ses goûts pour les tartes et le café, et ses émerveillements systématiques devant les joies de Twin Peaks (Comment s'appellent ces arbres? Mais... ce sont des oiseaux, n'est-ce-pas? Quel calme! etc...): bref, il a trouvé son bonheur, et ce n'est pas étonnant, vu qu'il est probablement aussi fêlé que l'habitant moyen!
Concoctées en 1989 pour obtenir le feu vert d'ABC en vue de la création d'une série, ces quatre-vingt-dix minutes ont aussi été montrées en salles dans une version (Who killed Laura Palmer?) qui vire en fin de parcours au cauchemar réjouissant. Sinon, qui a tué Laura Palmer? Euh... bonne question. Mais ces 90 minutes de préambule à la série la plus influente de tous les temps, sont belles comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie.