Le temps qui passe n'est pas tendre parfois. Ici, sa victime est le titre conçu pour être sensationnel de ce film, le troisième long métrage de la série des Fantômas, réalisés avant la guerre par Louis Feuillade pour la maison Gaumont. Si ça sonnait volontiers mystérieux en 1913, l'effet produit plus de cent années plus tard est plutôt un ridicule achevé... Et pourtant on ne peut pas rêver de titre plus approprié que celui-ci pour cet étrange film, et du reste c'était aussi le titre du troisième roman de Souvestre et Allain, comme pour les deux oeuvres précédentes.
La durée du film est étonnante à plus d'un titre: à 97 minutes, c'est un long film qui nous est proposé, à une époque où la règle était plutôt de limiter les films en dessous d'une heure fin de proposer plus de variété dans le programme des soirées cinématographiques. C'est une preuve du succès de Fantômas, qui pouvait désormais soutenir à lui seul l'essentiel d'un programme. C'est aussi afin de rappeler la place de la Gaumont, qui a une double concurrence avec l'importance de Pathé d'une part et de Eclair d'autre part. Ces derniers, d'ailleurs, ont depuis longtemps privilégié les films à épisodes plus longs que de coutume sous la direction de Victorin Jasset, auquel on peut quand même penser que Feuillade doit beaucoup...
Quand Le mort qui tue commence, tout est bouleversé: le diptyque inaugural (A l'ombre de la guillotine et Juve contre Fantômas) a fini par voir le petit monde de Fantômas chamboulé: une explosion initiée par le bandit insaisissable a eu raison de la villa de Lady Beltham, et Fandor (Georges Melchior) en a réchappé de justesse; gravement brûlé, il y a perdu son ami Juve (Edmond Bréon), dont le corps n'a malheureusement pas été retrouvé...
...Un indice chez Feuillade qu'on peut décoder facilement: on reverra Juve, probablement sous les traits d'un autre.
Néanmoins, l'absence du policier se fait sentir, ne serait-ce par le fait que le jeune journaliste, en dépit de la perte de son ami, va continuer la lutte contre le crime. Mais elle lui est plus difficile. Et surtout l'influence de Fantômas continue à s'étendre et à prendre des formes inattendues: l'essentiel de l'action de ce Mort qui tue tourne autour de la disparition du jeune Jacques Dollon (André Luguet), un artiste qui est accusé à tort d'un crime (nous assistons à la machination ourdie par Fantômas afin qu'il fasse un coupable parfait). Arrêté, il est étranglé dans sa cellule par le fourbe garde Nibet (Naudier) qu'on a déjà vu à l'oeuvre dans les films précédents. Mais après que les autorités ont constaté sa mort, il disparaît. Son cadavre est récupéré par Fantômas, qui se livre à une manipulation sur le corps...
Quelque temps plus tard, des méfaits sont à nouveau perpétrés (Vol nocturne de bijoux, meurtre, etc), mais les empreintes qu'on retrouve sur les lieux sont celles de Dollon. Fandor se passionne pour l'enquête...
Le film est à nouveau structuré en parties, au nombre de six. Ce qui du reste correspond au nombre de bobines, mais elles sont d'une durée très irrégulière. Ce qui frappe le plus dans ce film, c'est à quel point l'absence de Juve semble déséquilibrer le tout, en précipitant le spectateur hors de sa zone de confort. Feuillade attend beaucoup de ses admirateurs ici, en leur détaillant le plus souvent les machinations sur des laps de temps assez long, et en leur faisant confiance pour suivre sans leur donner les clés tout de suite. Et l'un des plaisirs de tout film criminel de Feuillade, cet arbitraire baroque, prend de plus en plus de place: on devine assez vite le pot-aux-roses, mais il est d'une totale improbabilité. Peu importe: cette histoire de "gants de peau humaine" pour reprendre le titre du dernier chapitre, est d'une logique imperturbable tant qu'elle reste dans le cadre de la fiction.
Et derrière cette histoire étirée sur la durée d'un long métrage, Feuillade prend son aise, semble s'échapper des traditions observées dans les deux premiers Fantômas. Tout en délivrant une adaptation de bonne facture des oeuvres de Souvestre et Allain, le metteur en scène prend aussi le pouvoir et commence à affiner son style, mélange d'une énonciation claire et méthodique, et d'une dose de plus en plus grande d'absurdité froide et ironique: le cocktail des futurs Vampires, tout simplement.