C'est amusant de constater qu'alors que Mack Sennett avait offert à Chaplin l'opportunité de réaliser afin de le dégager des jambes de Mabel Normand, qui ne l'aimait pas, ils se se soient retrouvés co-réalisateurs et co-vedettes de ce film: un garçon de café séduit une bourgeoise en se faisant passer pour l'ambassadeur du Groenland (!) mais va devoir affronter la déception de celle-ci lorsqu'elle vient dans son café pour s'encanailler.
Bon, certes, on est encore dans un territoire propice aux coups de pieds aux fesses, mais Chaplin continue à faire évoluer son personnage, déjà physiquement très proche de ce que nous allons bientôt savourer. De plus, la multiplicité des décors, l'enjeu, une situation écrite plutôt qu'improvisée, nous éloigne des mauvaises manies de la Keystone. Le cinéma est en marche!
On attribue officiellement ces deux bobines à la seule Mabel Normand, et c'est vrai que la partie romantique porte totalement sa griffe, essentiellement dégagée des obligations habituelles de la Keystone: les gags y sont liés à la situation, les caractères y sont moins caricaturaux, et il y a une vraie intrigue. Mais de la même manière, les scènes dans le cabaret sont du pur Chaplin, avec l'utilisation austère mais précise de deux décors dans lesquels Chaplin et ses collègues s'activent. Et le comédien, qui a semble-t-il décidé d'explorer toutes les ressources de cet art nouveau qui le fascine, s'amuse joliment avec les ruptures de ton, dans son jeu, lorsque pris par l'émotion d'une chanson qu'il entend, son personnage est pris de sanglots... Une scène du plus haut tragi-comique.
En deux bobines, cette collaboration qui n'a pas du être de tout repos s'avère une étape essentielle dans la carrière des deux comédiens-cinéastes.