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23 mai 2018 3 23 /05 /mai /2018 16:34

John Breen vit avec sa mère et son père adoptif sur une péniche, et passe son temps libre à admirer New York, depuis la rivière. Il souhaite y aller un jour, et y devenir quelqu'un; tout ce qu'il sait de son histoire compliquée, c'est que le capitaine Breen n'est pas son vrai père, mais par ailleurs le sujet est tabou pour ses parents. Quand un bateau heurte la péniche accidentellement, de nuit, les Breen sont noyés. Seul survivant, John décide de tenter sa chance...

Produit par la Fox en 1927, East side, west side reste à l'écart des expériences chères à Murnau, qui commencent à envahir toute la production du studio, avec les encouragements subjugués de William Fox lui-même. Allan Dwan ne s'en préoccupe guère, plus proche dans son style d'un Walsh que d'un Murnau ou un Borzage... Et justement, ce qu'il cherche dans ce film largement tourné à New York, du moins certains extérieurs notables, c'est justement une certaine vérité locale, plus qu'une réinterprétation artistique des lieux. 

Mais ça ne veut pas dire que son film est dénué de clichés ou d'artificialité; au contraire, une bonne part de cette histoire initiatique, celle d'un jeune homme un peu naïf venu de l'eau, tient du conte de fées; mais un conte de fées New Yorkais, qui va voir John Breen rencontrer des Juifs qui lui donnent un toit pour quelques jours, des Irlandais avec lesquels il va se frotter, mais qui vont surtout lui faire découvrir la boxe, et enfin un homme d'origine Hollandaise (un sang bleu de New York, donc!) qui va l'aider à trouver la possibilité d'élévation sociale qui le motive tant. L'homme en question est son père, nous le savons, mais lui, pour des raison propres à l'intrigue, ne le saura jamais.

East side, west side: un côté, puis l'autre: la symbolique du lieu est bien sûr liée à une réalité sociale, celle d'une ville à deux vitesses dans laquelle les deux côtés ne se mélangent que rarement. Pour certaines occasions bien spécifiques, comme la boxe, par exemple: c'est autour de ce sport que vont en réalité graviter absolument tous les personnages importants du film: Flash, le premier manager de John, un escroc peu recommandable (Frank Allworth); Pug Malone (J. Farrell McDonald) qui lui au contraire va traiter John avec respect, même si je soupçonne fortement ce personnage bourru d'être plus ou moins un parrain de la mafia Irlandaise; Gilbert Van Horn (Holmes Herbert), le père secret...

Il y a aussi deux femmes: d'un côté, celui de l'East side et des quartiers populaires, Becka Lipvitch (Virginia Valli), la fille des fripiers qui ont "sauvé" John au début du film, et qui l'aime depuis le premier regard, et Josephine (June Collyer), la pupille de Van Horn, qui va s'intéresser à John lors de l'ascension sociale de ce dernier. Deux femmes, deux tentations. Mais l'idylle entre John et Josephine tournera court, cette dernière ne supportant pas le fait que son fiancé soit plus intéressé par la construction, et passe du temps sur les chantiers (en particulier sous terre), pour des activités qui ne sont pas en phase avec les aspirations de la jeune femme.

Le haut, le bas, Dwan est clair dans le parcours de John qui certes est ambitieux: son mentor/ami/père Van Horn lui conseille de "viser les étoiles". Mais contrairement à Josephine qui ne supporte pas de descendre pour se rendre sur les lieux où John supervise les fondations d'un building, le jeune homme sait que sans un travail vraiment sérieux au bas de son bâtiment, il ne sert à rien de viser à le construire, et à le faire tutoyer les étoiles: le bon sens au service de la métaphore en quelque sorte! Cette intéressante utilisation de l'image de la construction se double d'une dichotomie entre le jour (le monde de la haute société et des Van Horn et consorts) et la nuit, le moment d'aller s'encanailler dans le ghetto, et le monde où va travailler Becka qui a une famille à aider. Les nombreuses scènes nocturnes bénéficient d'un travail exceptionnel du chef-opérateur George Webber qui préfigure le film noir, mais on sait que Dwan a toujours été à l'aise dans ce domaine (voir les scènes de fin de Stage struck, mais aussi certaines séquences de Robin Hood et bien sûr The iron mask à ce sujet). le metteur en scène est aussi chez lui devant la thématique des contournements de l'impossibilité de l'élévation sociale: The half-Breed, Zaza, Manhandled, Stage Struck, tous ces films abordent ce thème avec force. Et j'ai parlé du film noir plus haut, mais East side, west side, avec ses scènes tournées dans un quartier juif, ses séquences de speakeasies et les junkies qui viennent chercher leur dose, son mafieux au grand coeur et ses dames de petite vertu qui décidément font plus vrai que nature, anticipe aussi sur le naturalisme du cinéma Américain du début des années 30.

Et j'ai failli oublier: Dwan situe une scène de son film sur un bateau qui transporte des gens de la bonne société, qui heurte un iceberg. En choisissant de raconter le désastre du Titanic à sa façon, il en profite pour montrer l'égoïsme de Josephine qui cache son amant sur le canot de sauvetage, et l'héroïsme de Gilbert qui lui laisse sa place à des femmes et des enfants, et... coule, rejoignant ainsi les deux (autres) parents de John. Mais au-delà de l'audace de l'idée (le désastre du Titanic n'avait pas beaucoup été abordé) et de l'impeccable réalisation "à l'économie" de la scène, qui anticipe malgré tout sur le réalisme du film de Cameron (les efforts des passagers pour rester debout), la séquence reste une séquence mélodramatique dans un mélodrame...

Maintenant, il faut admettre que le film reste un "véhicule" pour George O'Brien, ses pectoraux, son regard doux de petit garçon, et ses nombreuses scènes à tomber la chemise: je pense que c'était dans son contrat. Ce qui ne l'empêche pas bien sûr d'être un bon acteur, et même loin de son mentor Ford, qui a fait de lui une star, et de son grand révélateur Murnau qui a prouvé qu'il était un acteur, il est quand même excellent... Virginia Valli aussi: clairement, dans ce film qui fait fi de tout racisme, de toute tentation de privilégier les convenances, et qui nous montre la vie contrastée des petites gens et celle des privilégiées, vous ne serez pas surpris si je vous dit qu'il est très clair que Dwan, lui, a choisi son camp.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1927 Allan Dwan