Tous les ans, on organise dans la petite ville de Hindle une semaine de vacances, durant laquelle tou(te)s les employé(e)s de la filature Jeffcote, unique industrie locale, peuvent bénéficier de sept jours de liberté à Blackpool... C'est ce que font Fanny Hawthorn (Estele Brody) et son amie Mary (Peggy Carlisle). Durant le séjour dans les parcs d'attraction de la cité balnéaire, elles rencontrent une paire de gaillards qui les séparent. Si Mary, ce soir-là, rentre tôt, Fanny décide de passer du bon temps avec le fringant Allan Jeffcote (John Stuart). A son retour à l'hôtel, elle annonce à son amie qu'elle va le suivre à Llandudno, au nord du Pays de Galles, pour le reste du séjour; à Mary d'arrondir les angles auprès des parents de son amie, en envoyant une carte postale au bon moment, comme si de rien n'était, signée de Fanny et postée de Blackpool...
Tout ses serait bien passé si avant la fin du séjour, Mary ne s'était noyée. Pendant que Fanny et Allan terminent leurs vacances en amoureux, les parents de Fanny accompagnent leur ami et voisin, le père de Mary, pour récupérer les affaires de sa fille. Ils constatent que la jeune femme n'est pas là...
A son retour, l'explication va prendre des proportions homériques: d'un côté, les Hawthorn sont fâchés après leur fille, mais le conflit s'étend bien sûr à la famille Jeffcote, dont le fils Allan est fiancé avec la belle Beatrice, la fille du maire. Beatrice est amoureuse, et le maire compte clairement sur le mariage pour redorer son blason. Mais Chris Hawthorn et Nat Jeffcote sont de vieux amis, même si les circonstances ont fait de l'un l'employé de l'autre. Pour les parents Hawthorn, il est impératif qu'Allan épouse Fanny; chez le père Jeffcote, même son de cloche; la mère d'Allan, en revanche, ne voit pas pourquoi une petite amourette de vacances avec une employée remettrait en cause le mariage prévu; Allan, tout en pensant comme elle, imagine surtout qu'il risque son héritage à aller contre son père, et a gâché ses chances auprès de sa fiancée...
...Et Fanny dans tout ça?
La réponse à cette épineuse question vient à la fin de cette intrigue tirée d'une pièce à succès de Stanley Houghton, filmée ici pour la deuxième fois (il y en aura deux autres). La première version date de 1918, et est déjà une réalisation du vétéran Maurice Elvey, qui tourne des films en Grande-Bretagne depuis 1913. Je ne connais pas la première, probablement perdue; mais celle-ci, qui bénéficie de l'embellie généralisée du cinéma Anglais (Prend ça, Truffaut!) à la fin des années 20, lorsque la fréquentation des studios Allemands, et l'échange de techniciens et de stars avec le contient ont profondément transformé la cinématographie nationale.
Elvey a souhaité éviter par tous les moyens le théâtre filmé, ce qui était difficile compte tenu de la notoriété de la pièce, dans un pays où le théâtre est quasi intouchable et où le public n'aurait pas pardonné le sacrilège! Afin d'aérer l'intrigue, il s'autorise un prologue, en forme de description de l'usine, de son quotidien, du travail de ses employés. Il use aussi d'une métaphore récurrente, en concentrant la caméra sur les jambes des protagonistes, et leurs chaussures: par exemple, le père de Mary, veuf, est unijambiste, et ce fait est souligné à plusieurs reprises (dont un plan qui pique une idée à Hitchcock, dans le but d'obtenir un effet bien différent: les locataires du dessous entendent l'homme faire les cent pas au-dessus d'eux, avec sa jambe de bois: le plafond devient transparent...); quand elle se lève, Fanny a le choix entre une paire de vieux chaussons, et une paire, une seule, d'escarpins vernis. Mais Allan, de son côté, voit sa mère lui porter le matin une paire de chaussons, prise dans un placard qui contient une dizaines de paires de bottines neuves. C'est par leurs jambes que Maurice Elvey nous montre le trajet des employés et employées de la filature, puis quand l'heure du week-end arrive, il cadre les chaussures de travail qui sont mises de côté au profit de chaussures de ville...
Le metteur en scène prend un plaisir évident à filmer les hommes et les femmes au travail, et ce sera souvent de ces classes laborieuses que le point de vue viendra dans tout le film. Mais il montre aussi, en Nat Jeffcote, un patron juste, conscient de son autorité de classe, mais pas vraiment un exploiteur. Il considère son contremaître Hawthorn comme un ami, et lui dit souvent qu'il aurait dû s'associer avec lui quand ils étaient jeunes, comme Nat le lui proposait... Son épouse, en revanche, et son fils, représentent clairement l'esprit méprisable d'une classe qui a décidé d'en exploiter une autre. Mais plus encore, souvent cette exploitation sociale se double d'une exploitation de genre: car le fond de la pièce, et ce qui a fait un scandale important en 1912, c'est précisément de dénoncer le traitement différent réservé aux femmes, y compris dans un contexte qui leur permet de travailler ("Permettre" étant un bien grand mot: on comprend assez rapidement qu'il est nécessaire pour Fanny, qui habite chez ses parents et contribue au loyer, de travailler...). A ce titre, le film offre en Fanny Hawthorn une héroïne qui décide de ne pas se conformer aux modèles en vigueur, et à la morale Edwardo-Victorienne: elle réclame en effet le droit d'avoir, elle aussi, fait un écart de conduite en se laissant aller pendant une semaine, et refuse purement et simplement de se livrer au petit jeu du mariage avec un jeune homme qui lui en voudrait probablement toute sa vie...
Estelle Brody, et la plupart des acteurs aussi, sont excellents, et la réalisation d'Elvey est une splendeur, marquée par le plaisir de saisir la vie de la classe ouvrière Britannique dans ses plaisirs, et dans son travail. Elvey est inspiré aussi par Blackpool et ses attractions, qu'ils filme en contrebande, dans leur vérité... Par contre, il trouve dans les ressources de la lumière (l'un des opérateurs, au fait, est Jack Cox) la dignité nécessaire à la scène durant laquelle le père de Mary se retrouve dans la dernière demeure de sa fille. Elvey a aussi reconstruit en studio une rue ouvrière du Lancashire avec soin, et une usine, dans laquelle la dernière scène enfonce le clou: la plupart des ouvriers sont partis, mais seule en piste Fanny fat tourner la baraque. Un ami, Alf, qui tourne autour d'elle, lui demande si elle veut aller au cinéma avec elle le soir même... Elle le regarde des pieds à la tête, sourit, et... dit oui.