Ceci est le film choral ultime, dans lequel sans thématique préalable, sans lien réel entre les personnages, une vingtaine de personnages vivent trois jours à Los Angeles, et le spectateur est comme un visiteur qui aurait le droit de soulever le toit des maisons pour les regarder vivre. Trois jours, depuis le moment précis lorsque sur ordre des autorités locales, un bataillon d'hélicoptères pulvérise des doses massives d'insecticides pour préserver la population d'attaques de plus en plus fréquentes de mouches des fruits (une espèce de diptère particulièrement invasif et agressif), jusqu'à un tremblement de terre qui apporte une sorte de résolution à un certain nombre de personnages, et semble aussi marquer le début des ennuis pour d'autres...
C'est une somme, en soi, d'une dizaine d'intrigues, toutes adaptées (Sauf une, ajoutée par Altman) de Raymond Carver, et de neuf de ses nouvelles, plus un poème. Afin d'apporter de l'unité, un certain nombre de liens ont été créés pour le film, des liens familiaux, ou environnementaux: telle personne devient ainsi le voisin de telle autre, et dans certains cas les personnages font un peu plus que marcher dans le décor des histoires des autres, mais ce n'est pas de lien qu'il est question dans le film, plutôt d'une tentative de singer la vraie vie des vraies gens, en particulier des W.A.S.P. de Los Angeles: un pilote d'hélicoptère qui en a marre de partager sa femme avec la terre entière, un flic matamore qui trompe son épouse et est persuadé qu'elle ne le sait pas, une chanteuse de jazz revenue de tout, qui ne se rend pas compte qu'elle a totalement négligé sa fille unique, grandie dans la frustration de ne pas avoir connu de père, un couple bancal, à l'histoire tordue, formé d'un chauffeur à louer alcoolique et d'une serveuse qui essaie de s'en sortir... A une ou deux exceptions près (un médecin très en vue, et un chroniqueur vedette de la télévision), les gens sont d'extraction modeste, et parfois ont du mal à joindre les deux bouts. Mais surtout ils ont la frustration visible, le mal-être à fleur de peau: on rit parfois, mais jamais longtemps.
Tourné dans un Cinemascope superbe, le film est une plongée magistrale dans le quotidien pas toujours reluisant des Américains des années 90. Altman se contente (Si on peut dire) de travailler autour de ses acteurs, qui ont une part importante dans l'improvisation: le metteur en scène utilise sa méthode développée à l'époque de M.A.S.H. et Nashville: filmer autour, laisser vivre, et voir où ça va aller pour prendre la bonne décision au montage. A chaque fois, le plan de départ est représenté par la nouvelle adaptée, et le résultat est d'un réalisme, et parfois d'un naturalisme, assez affolant. Pour finir, j'ajoute que tous le acteurs sont des pointures (Chris Penn, Tom Waits, Jennifer Jason-Leigh, Madeleine Stowe, Matthew Modine, Tim Robbins, Lyle Lovett, Andie McDowell, Bruce Davison, Julianne Moore, Huey Lewis, Frances McDormand, Annie Ross, Lily Tomlin, Lili Taylor, Robert Downey Junior, Lori Singer, Anne Archer, et Jack Lemmon!), que les trois heures passent comme cinq minutes...