Alors que le Kin Lu s'apprête à quitter Hong Kong pour rejoindre Singapour, la tension monte d'un cran: le capitaine Gaskell (Clark Gable) découvre en effet deux mauvais présages: une troupe de pirates déguisés en femmes est repérée, et il constate aussi que certains passagers essaient d'emmener des armes... C'est que la cargaison est convoitée, il est de notoriété publique que le navire transporte de l'or. Mais les ennuis viendront d'ailleurs: d'une part, le fort affable McArdle (Wallace Beery) est-il vraiment le paisible exportateur de cochons qu'il prétend être? Et d'autre part, la présence dans le bateau d'une ex-fiancée Anglaise très comme il fait (Rosalind Russell) et d'une jeune aventurière (comme on dit) avec laquelle Gaskell a passé quelques nuits (Jean Harlow), et qui souhaite continuer l'expérience n'augure pas d'un voyage très calme... Surtout quand le mystérieux McArdle commence à tourner autour de la jolie blonde.
Des personnages aux destins contraires et complémentaires, des hommes et des femmes qui ont tout à refaire, à changer, à oublier ou à finir, des grands noms (Gable, Beery, Harlow), des acteurs de premier plan (Russell, mais aussi Lewis Stone ou C. Aubrey Smith)... Beaucoup de détails de ce genre tendent à faire de China Seas une sorte de Grand Hotel sur l'eau! C'était probablement une partie de l'intention pour la mise en chantier de ce film. Mais il n'a pourtant pas été confié à Tay Garnett pour rien: l'idée principale, ici, est de se vautrer dans l'aventure, la vraie, la seule. Du sang, de la sueur et des larmes, en quelque sorte, et sans surprise, voilà un film nourrissant et roboratif: vous en aurez pour votre argent...
La mise en scène est remarquable, et le montage aussi: c'est que la tâche était difficile, puisque on imagine que Tay Garnett devait à la fois livrer un film rempli de frissons, et de scènes spectaculaires, et... il y en a, de la scène d'ouverture largement occupée par des plans-séquences de toute beauté, jusqu'à la spectaculaire tempête, une scène de torture très enlevée, et bien sûr une attaque de pirates toute en suspense... Et le double jeu de Wallace Beery (il m'est toujours extrêmement désagréable de dire du bien de cet acteur exceptionnel qui était aussi un des pires salauds que la terre ait porté, un violeur de la pire espèce) maintient le spectateur à cran pour une bonne part des deux dernières bobines...
Et si je parle du montage, c'est parce qu'il fallait une certaine science du dosage savant pour réussir à faire passer la pilule d'un dialogue épicé (Harlow et Gable) et d'une avalanche de sous-entendus, alors que le code de production et son auto-censure venaient d'être renforcés... Mais le film n'est pas édulcoré pour autant, on peut faire confiance à certains acteurs, et par bien des côtés, le triangle Russell-Gable-Harlow nous rejoue la partition de Red Dust, de Victor Fleming (1932). A guichets fermés... C'est probablement ce film qui marque la renaissance d'un film d'aventures ambitieux, et il fera des petits, beaucoup de petits.