Don Juan est à Rome, et c'est le pur produit d'une éducation prodiguée par un père trompé, et impétueux: Don José de Marana a en effet prodigué la leçon la plus décisive de toute sa vie à son fils Juan, le jour où il a répudié son épouse infidèle, et emmuré au passage son amant... Vingt ans plus tard, Juan (John Barrymore) consomme les femmes, sans jamais s'enivrer dans la moindre histoire d'amour.
...Et il les lui faut toutes! Et comme il vit dans la Rome très corrompue de l'époque de Borgia, il est plutôt à son aise. Sa rédemption viendra de Donna Adriana (Mary Astor); la pureté angélique même. Dans un premier temps, il la convoitera comme les autres, et s'étonnera qu'elle lui résiste. Puis il cherchera sa présence afin de gagner son affection. Puis il la sauvera des griffes de l'abominable Giani Donato (Montague Love), homme de main de Lucrèce (Estelle Taylor) et César Borgia (Warner Oland)...
Ce n'est pas par son intrigue que ce film se distingue. Celle-ci, signée par Bess Meredyth, qui n'allait pas tarder à devenir Michael Curtiz, est une excellente utilisation d'une formule raffinée de film en film, et qui allait souvent donner des splendides swashbucklers dans les années 30 ou 40: voilà où je voulais en venir avec mon allusion au ménage Meredyth-Curtiz! En voyant Don Juan, film luxueux dans un studio qui n'avait pas forcément les moyens en 1926 de se permettre de telles excentricités, on constate que le terrain est en voie de préparation pour les films de Curtiz Captain Blood ou The sea hawk...) Seulement en attendant, c'est Alan Crosland qui était préposé aux grosses machines de ce genre.
Et Don Juan est une splendide réussite dans le genre: le héros est à la fois suffisamment sympathique, et suffisamment fripon pour garantir le spectacle, les méchants (des Borgia qui ont été taillés sur mesure pour le public Américain de 1926: aucun lien avec la papauté, ils sont juste 'les maîtres de Rome': a-t-on besoin de plus? Si on est un historien, oui. Sinon...) sont parfaitement adéquats, les seconds rôles sont à foison: John George, silhouette inquiétante dans le prologue, symbolisant l'âme tortueuse du père de Don Juan; Warner Oland, au naturel, en César Borgia inquiétant, mais pas autant qu'Estelle Taylor qui est la véritable reine de la famille; Montague Love dans son rôle préféré: un homme de main libidineux qui se fait tuer à l'avant-dernière bobine... Myrna Loy dans un rôle inhabituellement développé de dame de compagnie-espionne, et le grand Nigel De Brulier, qui joue un mari trompé qui fait basculer l'histoire de Don Juan depuis la comédie vers la tragédie: au naturel, lui aussi, son rôle est crucial, et le personnage qui se lance dans un pétage de plombs intensif, nous change des bons pères et des Richelieu tout en manoeuvres feutrées, deux types de personnages qu'il avait l'habitude de jouer... Et puis il y a, dans le rôle d'un bourreau, Gustav Von Seyffertitz, l'inénarrable sadique dont Barrymore aimait tant copier les traits (voir son Mr Hyde, c'est troublant), et qu'il imite ici dans une scène située vers la fin...
On ne s'ennuie jamais, et on en prend plein les yeux: la photo de ce film, ses décors, le cadrage (avec un certain nombre de cascades jouées en plan large, et rendues plus spectaculaires encore) et les costumes, tout y contribue au plaisir. C'est que la Warner avait une idée derrière la tête: le Vitaphone. On lit souvent que Don Juan était le film par lequel la compagnie WB avait expérimenté ce système de synchronisation qui allait ensuite mener la compagnie à insérer 2 minutes parlantes dans The jazz singer. Sauf que pour une fois, c'est rigoureusement exact. Jack Warner jouait son va-tout avec Don Juan, dont le succès allait précipiter la révolution du cinéma sonore. D'où les précautions, et le soin apporté à la production. Et du même coup, ceci est le meilleur film de Crosland, et ce de très loin. Le principal atout du film, je pense, est son montage formidable, qui nous permet de toujours nous situer du bon côté de l'action (c'est à dire en prenant parti pour Don Juan, y compris avant qu'il n'entame une rédemption ô combien nécessaire!)... Mais franchement, il n'y a là-dedans que des motifs de satisfaction, et tant qu'à faire ce long métrage d'excellente facture est aussi à mes yeux le meilleur film de John Barrymore.