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12 août 2018 7 12 /08 /août /2018 00:31

C'est le troisième film tourné en 1925 par Browning et le troisième aussi pour la MGM: le metteur en scène revient de loin, et The unholy three et son succès, plus les retrouvailles avec Lon Chaney, connu à la Universal en 1919, ont été décisifs: il allait sombrer dans l'alcoolisme, il ne travaillait plus que pour des petites compagnies. Irving Thalberg, en lui offrant un contrat, lui a remis le pied à l'étrier, et lui a redonné confiance: c'est bien.

Seulement... j'ai déjà dit ailleurs que je n'étais pas convaincu outre mesure par The unholy three, le premier d'une série de thrillers MGM bizarres avec Lon Chaney, qui vont souvent virer au grand n'importe quoi. Je le suis encore moins par The Mystic, le deuxième film MGM, sur lequel on ne va pas s'étendre, pou l'instant du moins, par charité élémentaire! The Blackbird en revanche a une bonne réputation...

Limehouse, à Londres, est un peu comme le Barbary Coast de San Francisco: un endroit où tout est criminel, et les seuls riches qui y viennent entendent justement s'encanailler... Ou bien y travaillent. C'est le cas de West End Bertie (Owen Moore). Dan Tate (Lon Chaney) ne le porte pas dans son coeur, et pour cause, les deux voyous en ont après la même femme, une jolie petite française du nom de Fifi Lorraine (Renée Adorée). Tate va tout faire pour la conquérir, mais c'est Bertie qui va gagner la partie.

Il faut dire que Dan Tate, c'est tout sauf un parti enviable: violent, profondément craint et soupçonné de se livrer à tous les crimes possibles et imaginables. Pas comme son frère jumeau, qu'on a surnommé "L'évèque". Il est le dirigeant d'une mission située en plein coeur de Limehouse; on vient chercher une protection rare chez lui, et il en a remis plus d'un sur le droit chemin... Tout le monde l'adore... Et on vient souvent se plaindre de son frère, justement.

Et ça tombe bien: car le bon, handicapé sérieux, homme bon et ouvert, qui trouve des solutions et prend sous son aile toute la misère du monde, et l'ordure criminelle, ne sont évidemment qu'un seul et même homme, qui a trouvé la planque de rêve: c'est pas moi, c'est mon frère jumeau! Et j'ai renoncé à essayer de comprendre en quoi ça fournit un alibi à Dan Tate, d'avoir un frère jumeau estropié, qui est aussi bon que lui est fourbe. L'intérêt, évidemment, est ailleurs: dans la complicité morbide qui s'installe entre le film, le personnage et les spectateurs qui savent dès la première bobine la vérité; dans la réflexion qui s'engage alors sur la bonté et la criminalité: Dan Tate n'est donc pas si pourri? Et "L'évèque" est donc, fondamentalement, un criminel? pourtant les crimes de l'un sont réels, et la bonté de l'autre a des effets bénéfiques sur la communauté... C'est troublant, et on comprend que Lon Chaney qui aimait pousser son public dans ses derniers retranchements, ait pu être attiré par l'idée.

Seulement, une fois brillamment établi le début, il faut attendre la dernière bobine pour que le film, largement situé dans les bouges sans véritable vie de Limehouse, reprenne enfin vie, avec cette scène hallucinante durant laquelle Dan Tate meurt en essayant une fois de trop de forcer ses membres à adopter la posture tordue de l'évèque. Il lui importe de continuer jusqu'au bout à tromper son monde, et devant son ex-épouse, qui vient avec horreur de comprendre la vérité Dan Tate meurt sous l'identité d'un homme qui n'existe pas, son propre frère: il est satisfait: "I'm foolin' em", dit-il, je les trompe... Mais autour de lui,, c'est la tristesse: le seul homme qui faisait le bien est parti...

Ironique, cynique et sérieusement inquiétant, donc, le film va au bout de son étrange logique, mais déçoit: a trop vouloir développer une intrigue sentimentale très convenue, Browning perd l'intérêt pour son film. Et nous aussi...

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Published by François Massarelli - dans Muet Tod Browning Lon Chaney 1925