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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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24 septembre 2018 1 24 /09 /septembre /2018 17:48

Par où commencer? Par Astérix, par Goscinny, par Chabat? Car ce film n'est pas qu'un succès notable du cinéma français, pas qu'un éclat de rire de 105 minutes en continu, pas qu'une adaptation réussie d'une bande dessinée mythique. C'est un cas unique, un cas d'école. Un ofni absolu, en même temps qu'une oeuvre au culte durable à une époque où la notoriété est bannie pour toute oeuvre qui a plus de dix mois...

A tout prendre, je vais commencer par Astérix: le rendez-vous entre le héros de la bande dessinée la plus connue, la plus vendue, la plus traduite et la plus aimée de la culture francophone avec le cinéma s'est soldé par un certain nombre d'échecs: Albert Uderzo et René Goscinny eux-mêmes, les auteurs, se sont cassé les dents à plusieurs reprises en tentant d'adapter l'oeuvre en dessin animé, en raison d'une situation incontournable: en France, voire en Europe, quels que soient les efforts, quels que soient les talents, on ne sait pas faire de l'animation. Je sais, ça sonne vaguement comme un raccourci à l'emporte-pièce, et je sais qu'il y a sans doute quelques classiques tapis dans un coin ou un autre, pour prouver que j'ai tort. Grimault, Trnka, Starevitch... Mais franchement, ce que visent Goscinny et Uderzo (dont les collègues et amis, Belges ceux-là, Franquin et Morris, ambitionnaient carrément de "travailler pour Walt Disney") dans ces dessins animés, faits avant comme après la mort du scénariste, c'est de concurrencer les Américains. Que ce soit avec Astérix le Gaulois, réalisé en 1967 sans leur accord, ou avec Astérix et Cléopâtre (qu'ils avaient eux-même réalisé en 1968), le moins qu'on puisse dire c'est qu'il en sont loin.

On pourra toujours objecter que leur long métrage de 1976 Les douze travaux d'Astérix avait au moins l'avantage d'être basé sur une idée originale, et qu'il était bien meilleur, c'est d'ailleurs vrai. Mais... Lisez une des bande dessinées, et vous verrez qu'on est loin du compte: la précision hallucinante du dessin d'Albert Uderzo (ce type est un génie, il n'y a pas d'autre mot), le talent fabuleux de Goscinny pour le langage, les dialogues, et un savoir-faire certain pour la construction en histoires de 44 planches, pour la création de personnages et d'univers aussi. Tout ça n'a jamais pu être encapsulé dans un film... Et après les dessins animés, divers et variés, directement ou non reliés aux albums publiés, se sont suivis, sans qu'aucun ne réussisse à faire mieux.

La sortie de l'adaptation par Claude Zidi est une autre affaire: c'est en 1999 que Astérix et Obélix contre César est sorti, avec de vrais acteurs dans de vrais décors. Un film dont la réputation n'est pas très heureuse, mais je ne me prononcerai pas et pour cause: je ne l'ai pas vu... pas envie, et ce dès le titre! En tout cas, vue d'un fan pointilleux de l'oeuvre, c'est avec une certaine hostilité que j'avais pris la nouvelle...

C'est donc à ce stade que le projet arrive entre les mains d'Alain Chabat, heureux réalisateur à l'époque d'un seul long métrage, le très atypique Didier, mais surtout un esthète passionné aussi bien de cinéma, que de culture populaire sous toutes ses formes: télévision, musique, et... bande dessinée, bien sûr. C'est un fan absolu de René Goscinny, qui connaît les Astérix sous toutes les coutures, et qui a un oeil particulièrement aiguisé. Son idée est toute simple: adapter un des meilleurs, des plus cinématographiques récits de Goscinny et Uderzo, sans pour autant y coller servilement, l'erreur globalement commise en 1968 par les auteurs dans leur adaptation médiocre. Et puis il y a aussi l'idée toute simple d'adhérer non seulement à l'oeuvre mais surtout à son esprit, et de laisser l'esprit s'amuser dans un script dont les grandes lignes sont déjà là. Et Chabat a un péché mignon, qui consiste à ne laisse aucun plan indifférent...

Le résultat est superbe, d'abord, et satisfait aussi bien les fans de la bande dessinée que les autres, ceux qui sont attirés vers le film par l'envie d'y passer du bon temps. Un bon temps qui jamais ne se prend au sérieux, mais jamais non plus ne prend les spectateurs pour des courgettes: l'histoire initiale y est respectée, et si la bonne humeur supplémentaire qui y est instillée vient du fameux esprit "canal +", c'est malgré tout un spectacle qui reste en permanence visible par tous (comme du reste tous les films d'Alain Chabat, remarquez), et qui prolonge à sa façon, vers le vingt-et-unième siècle, l'oeuvre géniale de René Goscinny et d'Albert Uderzo, dont les ajouts sont souvent un clin d'oeil aguerri: par exemple les aventures supplémentaires des pirates sont elles parfois inspirées de leurs interventions dans d'autres albums. Mais ce qui me frappe le plus, ce qui me réjouit, c'est que dans un pays où on est persuadé que la comédie, c'est soit La Septième Compagnie, soit Le gendarme, soit Aldo Maccione, soit Les visiteurs, bref d'insupportables navets sans aucune saveur, on a au moins un auteur (et d'autres, regardez Dupontel et Jeunet) capable de construire un film entier avec rigueur, sans jamais ou presque lasser.

Si. Peut-être: je pense que la séquence kung-fu aurait sans doute pu être un peu raccourcie... Mais pour le reste, on peut toujours s'amuser à faire le compte de la façon dont ce film recycle avec génie Chi Mai (Ennio Morricone), Ti amo (Umberto Tozzi), ou encore Alexandrie Alexandra de qui vous savez... On peut toujours rire devant un fragment qui passe de la bande dessinée à Benny Hill en un souffle. On admirera aussi la façon aussi dont on réussit à insérer de façon pertinente dans Astérix I feel good de James Brown, ou simplement le don de Chabat pour mêler comme l'aurait fait Goscinny lui-même la saga Star Wars et Astérix... Il n'oublie pas non plus une partie non négligeable de son public, venue avec les Nuls sur Canal +, lorsque Astérix et Panoramix traitent la potion magique comme un stupéfiant qui fait rire. Juste retour des choses, le film est devenu un film culte chez les utilisateurs d'herbe récréative.

Et puis, Mission Cléopâtre est lui aussi une source inépuisable de bons mots, d'approximations magiques dues à Jamel Debbouze ("De là, à de là"; "Eh, les Romains, vous êtes des Romaines!", ou encore son incapacité à prononcer les noms Gaulois), ou de répliques fabuleuses des uns et des autres: le "ce tombeau sera votre tombeau" de Goscinny, reste en bouche avec Edouard Montoute, qui va le faire voyager un peu, jusqu'à son échange avec Gérard Darmon, et la fameuse réplique "on dit des chacaux?". Edouard Baer n'est pas en reste, en improvisations géniales. Même Claude Rich, l'impayable M. Antoine des Tontons flingueurs enfin devenu le sage druide (un droïde, aurait dit Jamel Debbouze) Panoramix, se fait occasionnellement plaisir. On n'en veut pas du tout à Alain Chabat de s'être réservé le rôle de César (Qu'il ridiculise avec subtilité, mais oui) ou d'avoir confié le rôle de Cléopâtre à l'incapable Monica Bellucci, dont il a tendance à filmer les endroits ronds de façon avantageuse: l'important pour la Reine d'Egypte (dont Chabat, Goscinnyen jusqu'au bout dans sa volonté d'instruire en amusant, nous rappelle qu'elle est quand même "un peu Grecque au départ"), ce n'est pas ce qu'elle dit, mais la posture qu'elle a quand elle le dit.

Tiens, on n'en voudra pas non plus à Chabat d'avoir du engager deux acteurs qu'on déteste: le Depardieu, quel que sont son talent, dont je doute souvent, a au moins peu à faire pour être Obélix, et pour une fois Clavier fait juste ce qu'il faut. Et on passera sur le destin de l'infâme Dieudonné, qui interpréta ici Caïus Céplus avant de passer définitivement du coté nauséabond du côté obscur. 

Bref, inclinons nous avec bonheur devant ce film qui n'oublie pas non plus de convoquer Feu Caïus Pierre Tchernia (qui joue en silence le Centurion Gazpachoandalus, à sa propre demande, tout en offrant sa sublime voix off au film), l'ami de toujours de Goscinny et Uderzo. Une façon de relier pour beaucoup d'entre nous, notre enfance (Astérix), notre adolescence (les Nuls) et notre vie d'adulte: c'est qu'en 2002, j'ai emmené mon fils voir ce film, et on a rigolé du début à la fin comme des crétins. Je sais qu'après ça, le siècle a commencé à sérieusement s'assombrir, mais au moins, avec Mission Cléopâtre, on a une bouée de secours.

Merci René, merci Albert. Et merci Alain.

 

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Published by François Massarelli - dans Comédie Alain Chabat René Goscinny