"Monsieur Merci" est le surnom du chauffeur de bus (Ken Uehera) le plus populaire de toute une région: sa ligne relie la campagne à Tokyo, à travers la montagne, et quand on est dans son véhicule, c'est souvent pour toute la journée. Il gagne son surnom du fait de son extrême politesse, quand un obstacle humain (groupe de marcheurs, paysans qui emmènent des animaux, voitures et autres charrettes) se dresse sur sa route: il contourne, négocie en douceur et lâche un jovial 'Merci' en repartant...
Dans son bus, ce jour-là, il y a beaucoup de monde, mais on en retiendra particulièrement quatre: un monsieur de la ville (Ryuji Ishiyama), important et accroché en permanence à sa montre en or, dont la moustache paraît factice; il est louche, et un peu trop intéressé par les jeunes femmes... Une dame moderne (Michiko Kuwane), qui fume, partage le contenu d'un flacon d'alcool, en pince pour le chauffeur, mais le bon esprit de cette dame qui connait la vie, sera de grand secours; enfin, deux femmes, une mère (Kaoru Futaba) et sa fille (Mayumi Tsujiki), sont du début à la fin au fond du bus, et elle ne sont pas à la fête: c'est la crise, et la mère n'a pas d'autre ressource que d'amener sa fille à Tokyo, pour qu'elle y 'travaille'. A aucun moment on n'en saura plus, du moins à aucun moment cela ne sera dit: car on n'a aucun doute sur le destin de la jeune femme, qui garde la tête baissée, de honte, durant tout le trajet. Le chauffeur, qui a entendu une conversation au début du film, est troublé par la jeune femme...
Tout le film se passe en extérieurs, dans ou autour du bus et le plus souvent sur la route. Et quand je dis route, c'est plutôt l'ancien modèle: très inconfortable, à plus forte raison quand le bus transporte non seulement des passagers, mais aussi l'équipe du film et son matériel! Shimizu, en toute logique, choisit de donner aux plans subjectifs filmés depuis le bus en route le rôle de fil rouge. Et pourtant, si on sent bien la répétition des situations, ce n'est pas gênant, tant le metteur en scène construit sa comédie de situations et d'observations de tous ces gens qui voyagent de concert. On passe par beaucoup d'émotions, bien sûr, notamment en raison de l'intrigue principale autour de la jeune femme et de la frustration du héros qui voudrait tant l'aider, mais n'en trouve pas les moyens. Mais ce qu'on en retient principalement, c'est la légèreté et l'humanité de l'ensemble, ce sentiment d'entraide qui va tellement de soi dans le film.
Le tournage n'a pas été de tout repos, et la vaste majorité a été tournée en muet, et sonorisée par la suite, donc le confort cinématographique n'est sans doute pas des plus évidents; cela dit, l'authenticité, la fraîcheur de l'ensemble et la chaleur des sentiments déployés dans le film emportent l'adhésion. Et l'humanisme de Shimizu se fait plus fort encore lorsqu'il incorpore dans son film des idées glanées au hasard du tournage: l'anecdote la plus célèbre est cette rencontre entre l'équipe et des travailleurs Coréens, une minorité peu considérée à cette époque. Elle a débouché sur le tournage d'une scène dans laquelle lors d'une pause à l'entrée d'un tunnel, M. Merci discute avec une jeune femme Coréenne qui lui explique qu'elle ne le verra plus, car le chantier auquel elle participait est fini, et elle va devoir participer à une autre construction dans la montagne. La scène était imprévue et l'actrice n'en est pas une...