Dans un geste pas éloigné de son séjour à Okinawa pour y tourner en plein soleil Profonds désirs des dieux, Imamura a eu carte blanche pour tourner dans des montagnes reculées, recréant au passage un village austère, dans lequel son équipe a vécu un tournage sur une année (quatre séjours prolongés, un par saison), qui fut certainement difficile.
Dans un village, il y a deux cents ans, on survit à flanc de montagnes. Les saisons se passent, et montrent comment la petite communauté affronte la vie, entre des naissances plus ou moins désirées, et des décès qui sont souvent accompagnés: une loi dans le village impose en effet d'amener les septuagénaires en montagne afin qu'ils y meurent, permettant aux vivants d'avoir une bouche de moins à nourrir...
L'histoire s'inspire de deux contes de Schiziro Fukazawa: la plus célèbre, La ballade de Narayama, avait déjà été adaptée en 1958 par Keinosuke Kinoshita; mais Imamura avait besoin de plus de substance pour son propre film, dont il voulait qu'il montre un choc entre le conte philosophique et la peinture pittoresque d'une humanité en proie aux rigueurs de la nature, non pas face à la mort mais bien face à la vie, pour ne pas dire la survie. Les codes qui régissent le village, en effet, ne se bornent pas à cet arrêt imposé de vivre au delà de 70 ans, assorti d'un sacrifice qui rend la vieillesse doublement pénible. On voit en vigueur dans le village, des règles absurdes et effrayantes: les filles nouvelles nées vendues près quelques mois, pour faire un peu d'argent le deuxième frère de chaque maison interdit de mariage et donc d'une vie sexuelle, ou encore ce qui arrive à une famille prise en flagrant délit de vol: dépossédé, puis exterminée sans aucune pitié par tout le village...
Tout le film est en fait situé en pleine nature, non seulement par le choix d'un tournage sans confort à même la montagne, mais aussi par le choix de Shohei Imamura de filmer les animaux, témoins muets de toutes les aventures, mésaventures, joies, peines, et bien sûr ébats (le film n'élude pas la sexualité joyeuse et débridée de tous ces gens, et nous montre un rare exemple de rapport entre un homme et... un chien, défenseur des animaux, soyez prévenus!): les animaux bien sûr (Grenouilles, hiboux, petits oiseaux, et des serpents à ne plus savoir qu'en faire) ne nous jugent pas, mais il est évident qu'ils nous regardent nous débattre avec notre humanité.
Derrière l'extraordinaire vitalité montrée par les acteurs dans un village qui semble vrai parce qu'il l'est (toutes les baraques sont, disons, aussi "fonctionnelles" qu'elles l'auraient été au XVIIe siècle, puisqu'elles sont devenues pour les besoins du tournage d'authentiques lieux de vie), derrière la bonne humeur parfois paradoxale manifestée en particulier lors du premier tiers, l'anthropologue Imamura fait peser le sens de son oeuvre dans les dernières scènes, celles qui voient le fils (Ken Ogata) accompagner sa mère (Sumi Sakamoto) vers la montagne où il va la laisser mourir. Entre les deux, un conflit séculaire est en train de se jouer, car c'est la mère qui a voulu et insisté pour partir. Comme son père trente années avant lui, Tastuhei ne veut pas, mais il s'exécute. Et toute l'humanité est résumée entre ce fils et cette mère, entre celui qui souffre de devoir tuer sa mère, et celle qui se sacrifie et donne ainsi un sens à sa vie. C'est bouleversant, comme l'est du début à la fin l'actrice, qui a donné au-delà de toute espérance pour ce beau film: elle a sacrifié ses dents...