En 1938, Alan Thorndyke, un chasseur Anglais s'apprête à réaliser le frisson de sa vie: il est en pleine montagne, à Berchtesgaden, face à la propriété d'Hitler, et son fusil (qui n'est pas chargé) est pointé sur le führer. Le frisson d'avoir réussi à venir jusque là et à s'être rendu capable de tuer le dictateur, n'est pourtant pas suffisant: il met donc une balle dans son fusil, et là, il est surpris par un SS. Appréhendé, amené dans la forteresse, il est interrogé par l'élégant Quive-Smith, un noble Allemand qui parle un Anglais parfait (trop parfait même) et qui ne pouvant le faire exécuter puisque on est encore en drôle de paix, décide donc de l'abandonner en pleine montagne. On le croit mort, mais Alan Thorndyke est bien vivant. Il va retourner vers l'Angleterre, et ne va pas tarder à avoir tous les nazis à ses trousses, et un gouvernement bien incapable de l'aider puisque la paix entre les deux pays n'a pas encore été brisée...
Lang a beaucoup souffert de son passage aux Etats-Unis, où il a dû réapprendre le compromis: celui qui faisait en artiste tout-puissant des films où chaque image, chaque association, chaque intertitre devait passer par son assentiment, a désormais des comptes à rendre. Si Fury (qui n'est pas conforme à son idée initiale) est malgré tout un film formidable, combien de déceptions, de westerns quelconques ou de films noirs répétitifs...?
Man hunt aussi est un film de compromis, notamment avec le directeur de production de la Fox, Darryl F. Zanuck. Mais c'est aussi et surtout une oeuvre dans laquelle le metteur en scène va apprendre justement à faire avec, et doser ses compromis de manière à rendre le film très personnel. D'une part il lui permet de toucher à un sujet qui le passionne: forcément. Et il va aussi y retrouver les ambiances particulières de ses derniers films Allemands, Le testament et M en tête: des scènes de suspense à la fois oniriques et réalistes, tournées dans des rues inquiétantes et poisseuses. Il y retrouve aussi tout une galerie de motifs, de personnages, de situations, qui le mettent à l'aise: un parcours dangereux pour un héros à la fois valeureux et transparent, qui est l'homme à abattre pour les uns et une évidente gène pour les autres (Car Thorndyke est un risque pour les démocraties qui hésitent à s'engager dans la guerre); parmi les nazis qui suivent le héros, un mystérieux tueur maigre; la fuite de Thorndyke passe par des souterrains, des grottes et des galeries de plus en plus sordides; Lang, qui n'oublie pas de laisser un ensemble de signes au spectateur (le plus important étant une petite broche en forme de flèche) se sent très à l'aise dans tout ça...
Et puis il touche enfin à un sujet qui lui permet de retrouver ses réflexions provocatrices sur l'homme. En Walter Pidgeon, il trouve un acteur formidable qu'il va utiliser contre lui-même, en en faisant un Anglais imbu de sa respectabilité, qui prétend (et croit même) ne pas être venu en Allemagne pour tuer Hitler, mais pour le geste sportif de se mettre en position de le tuer. De même a-t-il parmi les amis qui l'aident une jeune femme, jouée par Joan Bennett, qui est folle amoureuse de lui, prête à se donner lors de la première nuit, mais il refuse de le voir. Thorndyke, désireux d'éviter la guerre, est finalement aussi timoré que son frère diplomate est soucieux de ne pas faire de vagues avec l'Allemagne. Le parcours de cet homme dans le film va le pousser, enfin, à prendre conscience de la nécessité de s'engager...
Et Lang, qui n'est pas le seul maître à bord, mais qui est sacrément bien servi, peut compter sur des acteurs de génie: Joan Bennett et Walter Pidgeon, je le disais, sont excellents, mais le choix de confier des rôles de nazis à John Carradine ("l'homme maigre") et surtout George Sanders (le major à monocle), est particulièrement judicieux... Le film est une réussite, un de ces dédales Langiens, à la fois majeur (on y fustige la guerre et on appelle l'homme à prendre ses responsabilités face à la barbarie) et délicieusement mineur (suspense, poursuite, ambiance de film noir, ça trépide, les coups de théâtre abondent...): c'est l'un des meilleurs films Américains de Fritz Lang.