Comment commencer? Deux solutions. La première consisterait en une simple mais efficace entrée en matière: ce film sur le sexe est rempli de scènes de sexe qui ne sont pas simulées, et ne fait pas grand chose pour nous le faire oublier.
Le problème, c'est qu'à partir de là, on se dit oh, ben c'est un porno, quoi, alors qu'il n'en est rien. Mais alors pas du tout. C'est juste que Mitchell, qui souhaitait faire son film sur la vérité de la sexualité, et parfois sur les actes même, a trouvé qu'il serait dommage de se limiter, et a demandé (jamais exigé) à ses acteurs la franchise absolue. Mais nous ne verrons pas ici de ces parcours obligés, de scènes rituelles enfilées les unes après les autres, par des corps sans autre talent que d'être fidèles aux canons de la beauté qui sont courants dans ce genre de production: il me vient tout à coup en tête une conversation téléphonique dans une scène du Fabuleux destin d'Amélie Poulain, de Jean-Pierre Jeunet, quand on demande à Audrey Tautou si elle est épilée, parce que "Le tablier de sapeur, ça rebute le client"... Eh bien pas de ça dans Shortbus, le MacDonald de la sexualité: come as you are! grand gros petit rablé beau moche d'ailleurs tout est relatif petit zizi gros zizi homme femme jeune pas trop quand même vieux féminin masculin tout le monde vient, et puis c'est tout... Come as you are, and then come.
L'autre façon de commencer cet article serait peut-être tout simplement de situer l'intrigue, qui est chorale: un certain nombre de personnages, dans le New York post 9/11, sont en pleine crise émotionnelle, et cherchent le refuge (ou la solution) dans leur propre sexualité, mais aussi dans le partage avec les autres. Ils se rendent donc dans un club, le Shortbus (donc un chemin plus court vers la sagesse et le bonheur), où ils vont pouvoir exprimer leur sexualité et leur différence.
Mais au Shortbus, qu'on se le dise, il va y avoir de l'intrigue aussi, la grande force du film est d'avoir fait du sexe à la fois le sujet et la toile de fond, donc on y assiste souvent à de joyeuses orgies hallucinantes, mais la caméra ne s'attarde pas, ou jamais inutilement, sur les corps: ce qui compte, ce sont les petits drames des protagonistes: dans un couple, un des deux hommes (Paul Dawson et PJ DeBoy) vit très mal son secret intérieur, puisqu'il a été violé il y a longtemps, et ça le bloque; il songe au suicide... un autre protagoniste (Peter Stickles) a pris depuis deux années l'habitude de regarder les deux hommes du couple précédent, et se considère presque, à leur insu, comme leur amant; Sofia (Sook-Yin-Lee), qui est par ailleurs une sexologue réputée, n'admet pas souffrir, mais elle n'a pourtant jamais connu d'orgasme. Elle se met en quête, une recherche à la fois spirituelle et physique; Lindsay Beamish incarne Severin (ce n'est pas son vrai nom, elle avoue, embarrassée qu'elle s'appelle Jennifer Aniston, comme l'actrice) est dominatrice, mais elle aspire au bonheur sans savoir où le chercher... Etc etc etc. Chaque situation est explorée en relation, bien sûr, avec les autres, et donne lieu à de nombreuses scènes de comédie, mais aussi des moments plus poignants...
...avec des gens qui font du sexe à l'arrière-plan.
Le plus grand mystère de ce film (qui ne ressemble absolument pas à L'empire des sens, je le dis tout de suite car il semble impossible de parler de ce genre de production sans mentionner le chef d'oeuvre d'Oshima) c'est la façon dont il réussit à installer cette atmosphère de franchise sexuelle absolue: on y voit Sook-Yin-Lee, présentatrice de talk-shows Canadienne, y faire à peu près tout et dans toutes les positions, en un montage hilarant, on y voit un onaniste en pleine action rajouter un peu de matière dans une reproduction d'un Jackson Pollock, un contorsionniste gay tirer en solitaire avantage de ces deux particularités, et une scène hilarante d'un ménage à trois, dans lequel l'un des acteurs suggère qu'on chante littéralement l'hymne national en se servant d'un anus comme caisse de résonance: sitôt dit, sitôt résonné. Eh bien dans aucune de ces scènes, une fois passés la surprise et l'éventuel choc (c'est sûr qu'on ne voit sans doute pas ça tous les jours), on regarde car ce sont des scènes jouées, entre d'authentiques personnages: elles sont par dessus le marché, souvent très drôles...
Pour obtenir un tel niveau de don de soi de la part de ses acteurs, Mitchell a du baser la construction du film (qui a pris trois années de préparation) sur une série d'improvisations, de suggestions aussi, ce qui fait que toutes les scènes, qu'il s'agisse d'une engueulade comique chez la sexologue, ou d'une partie de jambes en l'air à quinze, ont été planifiées et intégrées dans la continuité par les acteurs aussi bien que par le metteur en scène. Qui a lui même, d'ailleurs, participé de façon très gourmande aux orgies occasionnelles, mais chut, c'est un secret!
Il en résulte à un cri d'amour à l'humanité, qui dans l'ombre du cataclysme du 11 septembre (présent incidemment à travers un plan de Ground Zero), la vie continue est qu'elle passe nécessairement par la sexualité. Un film qui commence sur de l'action (il s'agissait dès le point de départ de mettre le spectateur dans l'ambiance, et on est servis), et se termine par un feu d'artifice: car l'immense qualité de ce film est sans doute de ne jamais suivre la mode de ces films d'auteur explicites (loin de moi, Catherne Breillat et ses phrases philosophiques à la con débitées d'un ton funéraire par Rocco Siffredi alors qu'il enfile un préservatif de marque Monstrous plus, modèle jumbo), dans lesquels on a le sentiment qu'il faut que les personnages souffrent. Ici, ils cesseront de souffrir, grâce au sexe. Merveilleux, non?