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11 novembre 2018 7 11 /11 /novembre /2018 16:29

Il n'y avait pas grand chose (à part la fameuse séquence de rêve justement célébrée) dans le premier film de Renoir (La fille de l'eau, sorti en 1924), pour le distinguer du tout-venant! La maladresse "amateur" de l'interprétation comme de la direction, le mélodrame sans âme ni originalité, tout destinait le film à l'oubli... Mais Renoir a tout changé, et si on en croit ses dires (mais sur ce coup-là, on le croit sur parole), il a vu un film, en 1923, qui a changé sa vie, sa vision du cinéma, et l'a persuadé de s'acharner sur un art qui s'était jusqu'alors montré particulièrement ingrat: le film en question est Foolish wives, de Erich Von Stroheim... Ce devait donc être en 1924, car le metteur en scène datait cette vision d'après l'accomplissement de La fille de l'eau... Afin de transposer Stroheim au cinéma (Stroheim qui s'apprêtait à son corps défendant à être de nouveau dans l'actualité, puisque The Merry-go-round, Greed et The merry widow n'allaient pas tarder à faire également leur apparition en Europe), le choix de Renoir aura été de se ruer sur l'inévitable auteur naturaliste le plus évident à travers Zola. 

Dans Nana, Zola s'est livré à un exercice qui selon moi (c'est mon impression et je vous la livre) confine à l'auto-parodie; tout se passe comme si l'écrivain, qui rappelons-le s'est pris à son propre piège de la peinture complète d'une famille, s'était amusé à appliquer à la lettre les méthodes et l'univers qu'on lui reprochait! Il en résulte un roman certes au vitriol, mais qui me donne singulièrement l'impression de rater sa cible, en visant les turpitudes de la bourgeoisie et la noblesse par le biais de la petite gourgandine qui n'en finit pas d'être un miroir déformant assez repoussant des classes les plus populaires. l'idée de Renoir était probablement de se saisir d'un matériau qui pourrait être choquant, tant il avait compris que le cinéma de Stroheim intégrait justement cette provocation: Karamzin, dans Foolish wives, est systématiquement plus vil qu'on n'aurait pu l'envisager dans les films de l'époque... Alors Nana et son cortège de coucheries, de promotion canapé, et sa petite vérole, c'était du bonheur, dans cette perspective. Sans parler du fait que le cinéaste allait pouvoir y transposer sa vision héritée à la fois d'une enfance heureuse, et des films de son idole, des relations ancillaires, un sujet qui ne le quitterait d'ailleurs jamais.

Mais le projet était maudit dès le départ: Catherine Hessling.

L'actrice, bombardée diva, star, vedette, étoile, centre névralgique, est une actrice atroce, surtout dans Nana. Pire: elle doit jouer une actrice qui joue mal... C'est embarrassant, puisqu'on ne voit finalement aucune différence... 

Et puis vouloir être Stroheim, c'est bien joli, mais il faut savoir y faire en matière de montage, en particulier dans le fait de vouloir insérer des détails. Renoir le fait, un peu, mais le plus souvent, il nous éloigne de l'action en cadrant le décors certes impressionnants mais aussi étouffants, du film; une scène d'extérieurs se plante dans les grandes largeurs parce qu'on VOIT que c'est en studio, et parce qu'elle dure 15 minutes, pour trente secondes d'intérêt. L'éclairage ne tient pas debout, et les acteurs sont gâchés...

Il y a des qualités, dans ce film, malgré tout, maintenant qu'on peut le voir dans une version plus respectueuse aussi bien de sa continuité que de sa vitesse de défilement (contrairement à ce qui se passe souvent, le film gagne à être vu à un rythme pas trop rapide, rétablissant les tensions, notamment dans le contraste entre le jeu outrageusement affecté, c'est un euphémisme, de Catherine Hessling, et la lenteur calculée de Werner Krauss. Le sous-texte sur les domestiques est très réussi, grâce à Valeska Gert en particulier. L'ironie du cinéaste rejoint souvent celle de l'écrivain, et Jean Angelo garde une certaine prestance qui sied à son personnage... mais tout ceci reste trop dans l'ombre de l'une des pires interprétations de l'histoire. 

Notons pour finir, qu'en raison de la présence de Renoir, ce film plus que médiocre a bonne presse, et a fait l'objet d'une impressionnante restauration. Passons...

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Published by François Massarelli - dans Jean Renoir 1926 Muet