Mahlee (Alla Nazimova) est la fille (illégitime) d'un Américain de passage à Pékin, et elle n'a jamais connu ni son père (parti peu de temps après sa naissance) ni sa mère (morte en la mettant au monde). Ni blanche, ni Chinoise, elle souffre en particulier des moqueries qui l'accompagnent partout: le père, avant de partir, a formellement interdit qu'on lui raccourcisse les pieds durant sa croissance, et toute la ville la rejette parce qu'elle a des "pieds diaboliques". Mais au-delà de cette situation de rejet, c'est la vraie place de Mahlee qui est l'enjeu du film, et du personnage. A la mort de sa grand-mère, elle est recueillie par une mission, et finit par se considérer comme une occidentale. Jusqu'au jour où des Américains en visite arrivent à Pékin, parmi eux, le père de Mahlee, et sa fille, qui ressemble de manière troublante à l'héroïne. Pour le malheur de celle-ci, sa vraie place va lui être révélée...
Mené tambour battant par l'interprétation (double, vous l'aurez compris) de Nazimova, le film fait partie des productions les plus remarquables, et remarquées (il a eu un énorme succès à sa sortie) de Capellani aux Etats-Unis. Le réalisateur, parti en 1915, tournait alors pour la compagnie Metro (dont nous reconnaissons d'ailleurs l'acteur vétéran Edward Connelly qui tournera ensuite pour Rex Ingram, Tod Browning et d'autres), et nous donne à voir un film plastiquement superbe, avec des décors impressionnants d'efficacité. Il réussit à détourner certains codes du mélodrame et évite le racisme, en renvoyant dos à dos les préjugés des uns et des autres. Noah Beery y interprète son rôle favori, celui d'un homme Eurasien qui va entraîner Mahlee avec lui dans la spirale de la violence, mais surtout menace de la violer à tout bout de champ! L'interprétation de Nazimova, subtil mélange de ballet et d'observation, est la meilleure création de l'actrice que l'on puisse voir, bien différente de son horrible Salomé.
Réalisé clairement en étroite collaboration entre le metteur en scène et sa star, ce film séduisant est non seulement une preuve supplémentaire de l'importance de Capellani, c'est aussi un film de femme, une production qui permet à une autre sensibilité de s'exprimer, avant même les années 20, et contemporain des oeuvres de Lois Weber ou Nell Shipman. Et pour couronner le tout il est foncièrement distrayant et superbement accompli.