Une jeune femme (Mary McLaren) attirée par le monde du spectacle réalise qu'elle a mis le pied dans une drôle de fourmilière... En effet, quand l'agent pour lequel elle travaille lui demande de s'approcher trop près pour prendre ses mesures, elle comprend les risques. Mais dans quelle mesure peut-elle faire la fine bouche, puisque le temps presse: toujours pas d'engagement, et elle n'a pas d'argent ni rien à manger, et encore moins de soutien: ses collègues lui font comprendre qu'il lui serait très facile de manger, juste deux ou trois concessions à faire, et sa logeuse est également sur son dos...
Donc, lorsque son agent (Louis Morrison) lui promet un rôle, et précise que c'est "strictly business", elle sait que l'entretien promis avec un auteur à succès sera déterminant. Mais elle ne veut pas faire pitié: elle décide de casser sa tirelire pour se payer une miche de pain. La seule scène durant laquelle l'héroïne est confrontée à un peu de chaleur humaine, est celle de la boulangerie: la boulangère qui a compris la situation compliquée de la jeune femme, lui donne "une miche sur laquelle la miche d'à côté à débordé pendant la cuisson", et qui fait quasiment le double d'une miche de pain normal. Mais dans la scène qui suit, le pain se perd dans une confrontation avec un passant...
Le film est perdu. Bread faisait à l'origine 6 bobines, soit entre 60 et 70 minutes, dont il ne reste que 18 (Retrouvées, je vous le donne en mille, à Dawson City): probablement l'essentiel de la troisième et de la quatrième bobine. Dans ces quelques minutes, on nous présente un autre personnage, celui du dramaturge célèbre, dont nous pouvons sans trop de souci imaginer qu'il va devenir soit le sauveur, soit le futur mari, de l'héroïne. Mais il est aussi présent, dans une voiture, lors du quiproquo de la perte du pain: quand Mary McLaren la lâche, la miche se retrouve sur le marchepied de la voiture qui démarre...
Je suis beaucoup rentré dans les détails, avec difficulté parfois, car ces deux bobines sont justement une suite ininterrompue de détails, avec une mise en scène qui passe beaucoup par le corps d'une part, et par le détail d'autre part. Ida May Park, qui fut scénariste, a compris l'importance des petits cailloux qui mènent quelque part dans une histoire. Et en Mary McLaren (qui pourtant n'avait pas de mots assez durs à la fin de sa vie, contre sa réalisatrice d'un film), elle a trouvé une actrice qui sait jouer de son regard, plus que de son corps, pour avancer une idée, ou une émotion. Le film est riche en moments à la limite du sadisme Dickensien, c'est entendu, mais McLaren (Déjà confrontée à la destitution moderne avec Shoes de Lois Weber deux années plus tôt) nous semble encore posséder parfois suffisamment d'énergie pour tenir encore un peu le choc! Bref, une fois de plus, on pestera contre le sort et l'incurie, qui nous privent de la fin d'un film qui me semble valoir vraiment la peine d'être un jour redécouvert en entier...