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8 mai 2019 3 08 /05 /mai /2019 15:42

Roy Earle (Humphrey Bogart)sort de prison: ce gangster des années 20 a bénéficié d'une remise de peine, mais ne se fait pas d'illusions: il sait qu'il a été aidé pour cette opportunité par un caïd qui va lui confier un travail. Il rejoint donc les jeunes bandits auxquels il doit prêter main-forte, des bleus sans relief, et attend son heure. Il commence aussi à échafauder des plans d'avenir: sur la route, Roy a croisé une famille de fermiers qui ont tout quitté pour partir vers la Californie. parmi eux, Velma, une jeune femme qui émeut particulièrement Roy avec son pied-bot. Tout en préparant un casse, il va lui venir en aide...

La première chose que fait Roy en sortant de prison, c'est de s'asseoir sur un banc, dans un parc, au milieu des enfants qui jouent. ca lui semble presque idyllique, mais la caméra nous montre bien vite un journal jeté par son lecteur par terre, sur lequel on voit sa photo en première page, accompagnée d'un texte sans équivoque: non seulement le public doute de l'opportunité de sa sortie de prison, mais en plus il occupe la une des journaux. En fait, l'impression qu'il est cuit domine dès le début. Roy va pourtant trouver des interlocuteurs: pour commencer, Big Mac (Donald McBride), le gangster "à l'ancienne" qui l'a fait sortir, croit en lui. Mais lui aussi (avec lequel Roy a une conversation à bâtons rompus sur les jeunots et leurs différences avec les vieux de la vieille) est cuit: son coeur menace de lâcher à n'importe quelle occasion, et il consume la vie par les deux bouts... Sinon, il y a le grand-père (Henry Travers) de la petite Velma, avec lequel Roy sympathise tout de suite, presque instinctivement: ils se reconnaissent en quelque sorte, l'un et l'autre venant du même type de milieu. Enfin, il y a le chien Pard et surtout Marie (Ida Lupino).

Marie, c'est un petit bout de bonne femme qui vit plus ou moins avec les deux apprentis gangsters qui attendent Roy: elle est sans doute plus intelligente et plus dure que les deux réunis, et elle aussi, comme Roy, a beaucoup vécu. Elle a connu les salles de danse où on la traitait comme une moins que rien, et elle a de l'expérience malgré sa jeunesse. Les deux vont se reconnaître, et l'amitié va s'installer. Enfin, pour Marie ce ce sera pas de l'amitié. Et pour Roy, ça prendra son temps, mais...

Pard, le chien, n'est pas seulement un petit détail pratique de l'histoire: il a une identité inattendue, car une histoire qu'on raconte sur lui, pourrait bien avoir de l'intérêt en dépit de son incongruité: il porte la poisse. Mais alors, pour de vrai: ses deux propriétaires précédents sont morts dans des circonstances dramatiques, alors Roy, qui se prend de sympathie pour lui, aurait bien fait d'y regarder à deux fois...

Le romantisme absolu du film est l'une des marques de fabrique des films de Walsh, et c'est d'ailleurs ce qui relie de la façon la plus évidente High sierra au reste des films de Walsh: cette impression que Roy Earle, en se rendant ainsi au pied du Mont Whitney, l'endroit où son destin tragique s'accomplira, il choisit plus ou moins consciemment sa liberté, LA chose qu'il souhaite le plus au monde. Mais surtout il finit de se mettre à l'écart du monde, d'un monde qui l'a oublié, d'autant plus anachronique que le gangstérisme qu'il a probablement connu, celui des années 20, a totalement disparu avec l'abandon de la prohibition. Il est clair que Roy a plus en commun avec les petits fermiers qui partent de chez eux pour tenter leur chance en Californie, qu'avec ces gangsters de pacotille, qui pensent plus à leur image ("Now we're big", dit l'un d'eux) qu'à faire le boulot...

C'est heureux que Bogart, qui avait eu vent du projet, ait réussi à persuader Walsh et la Warner de lui laisser sa chance sur ce film. Raft était prévu, et quelles que soient ses qualités, il ne peut en aucun cas rivaliser avec la façon dont Bogart a construit son personnage et l'a joué. High sierra, c'est enfin la naissance du monstre sacré Bogart, qui peut non seulement jouer un gangster sympathique, humain, mais aussi le faire aussi dur que possible. Voilà un homme qui aura la faveur du public, qui certes possède une morale, et agit un peu en Robin des Bois avec la famille qui va l'aider (et dont incidemment la petite Velma qui est la première bénéficiaire de cette aide, va finir par se comporter en garce écervelée), mais quand il parle de son regret de ne pas avoir descendu un mouchard, on le croit sur parole... Raft n'avait aucune chance, et le film bénéficie grandement de son retrait, et de son remplacement par Bogart. Et que dire du tandem fabuleux composé de ce dernier et d'Ida Lupino. Celle-ci joue probablement le rôle de sa vie.

C'est donc un grand, un très grand film, qui possède toute la rigueur d'un film d'aventures, tout en étant dans la plupart des scènes, une chronique des allées et venues d'un homme fascinant, qui incarne à lui tout seul le crépuscule de toute une époque. D'un coup, tout s'éclaire: le point de vue de Walsh, cette profonde nostalgie qui s'exprime à travers tant d'aspects de son oeuvre, est aussi et surtout l'expression d'une forte incompréhension devant un monde qui selon lui, clairement, tourne à l'envers. Et comme Rockliffe Fellows dans Regeneration, Wayne dans The big trail, Charles Farrell dans The red dance, Victor McLaglen dans What price glory?, Wallace Beery dans The Bowery, Cagney dans The roaring twenties, le personnage de Roy Earle est un homme qui a choisi son destin, et  assume la course qu'il va prendre. Sa fin sera donc grandiose: cette fois, ce ne sera pas aux pieds d'une église, mais sur le flanc d'une immense montagne, sous les yeux de policiers avec une certaine décence morale, de la femme qu'il aime qui aura par respect pour lui décidé de ne pas aider la police même si ça doit le condamner, et d'une presse désormais suffisamment puissante pour être partout: un reporter raconte en direct l'opération à la radio...

Ah, oui, j'oubliais: parmi les témoins de la chute, il y a aussi un petit chien.

 

 

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Published by François Massarelli - dans Humphrey Bogart Noir Raoul Walsh Criterion