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2 décembre 2019 1 02 /12 /décembre /2019 13:51

Pendant que la ville dort... et pendant que les responsables d'un empire de presse se font une concurrence effrénée pour un poste prestigieux, un serial killer, un monstre, s'en prend à des jeunes femmes qu'il vient attaquer jusque chez elles. Un monstre qui laisse un mot, au début du film, et que nous voyons d'ailleurs à l'oeuvre: le film ne nous demande pas de «trouver le coupable», l'intérêt est ailleurs.

Il est en particulier dans la propension des journalistes et hommes de média qui nous sont présentés, à passer à autre chose, et à ne plus voir dans cette affaire sordide et qui menace de s'étendre, qu'un formidable réservoir de scoops potentiels. Le patron est mort, le fils du patron (Vincent Price) reprend les rênes et n'y connait rien, il va donc souffler le chaud et le froid et imposer une concurrence sévère entre les journalistes. Les uns et les autres (George Sanders, Thomas Mitchell, en particulier) vont se saisir de l'affaire comme d'une excellente opportunité, et toute compassion, toute humanité vont partir de leur vocabulaire...

Sauf Ed Mobley (Dana Andrews): d'un côté, c'est lui le héros ou du moins le principal protagoniste du film. Il n'a pas un poste à responsabilités comme ses copains, et il aime à se tenir à distance du pouvoir, surtout quand il n'y a pas vraiment d'atomes crochus! Il a sans doute une morale... Ou alors, le fait qu'il soit très en vue (il est le présentateur de l'émission de télévision de la compagnie, et donc il incarne la presse pour une grande partie du public. Ce qui lui permet de se tenir en effet à distance...

Ca ne l'empêche pas non plus de tout risquer pour un scoop, et il va y avoir un clash important: à peine fiancé, il va utiliser sa petite amie pour en faire un appât, car il a tout fait pour provoquer le tueur en direct à la télévision, depuis son fauteuil de présentateur... Les motivations ne sont pas les mêmes, elle n'en manquent pas moins de moralité.

Le film a une double identité: d'une part, il se pare des attraits du film noir tel que Lang le raffine depuis les années 20. Un film dans lequel tout le monde descend, de la salle de rédaction au bar du rez-de-chaussée où les langues se délient, les alliances se forgent et les trahisons se dessinent. Es appartements où ont lieu les crimes, jusque dans la rue: on voit très souvent des escaliers dans ce film... et au final, de la rue vers le métro, dans les tunnels desquels la poursuite entre Mobley et le tueur va trouver une résolution: ce dernier (John Barrymore Jr) est un paumé, un ado attardé dont la mère adoptive (Mae Marsh) n'a rien vu venir, mais lui le sait: «ask mother», dit-il dans son message laissé sur les lieux du crime. Il est juste un paumé qu'une éducation malheureuse a précipité dans le crime. Et d'ailleurs, il disparaît très vite du film...

...Car bien sûr, Lang qui n'a que rarement été aussi méchant, a trouvé avec ce film une bonne occasion de donner un point de vue extrêmement critique sur l'humanité qui l'entoure. Au moins dans M, les gens semblaient-ils se préoccuper de trouver le criminel; maintenant, la police doit collaborer avec des journalistes qui ont tous des pions à avancer et une part du gâteau à défendre. Le corporatisme journalistique tel qu'il nous est présenté ici est le portrait cruel d'un univers vu par un homme qui ne s'y retrouve plus, un portrait au vitriol d'une humanité en quête de repères... Après ce film noir grinçant, Lang ira encore plus loin dans le désespoir face au crime et la perte des idéaux humains, avec Beyond a reasonable doubt... En attendant, quel plaisir que ce grand film méconnu, au casting de rêve...

 

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Published by François Massarelli - dans Fritz Lang Noir