Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 avril 2020 4 16 /04 /avril /2020 18:41

Pourquoi effectuer un remake d'un film qui fonctionne encore totalement? Sans doute pour les mêmes raisons qu'on joue encore les pièces de Shakespeare aujourd'hui, sans doute. Si on a plus que des réserves à l'égard de The truth about Charlie, le film de Demme dans lequel il a décidé de refaire Charade (hum...), il y a énormément à glaner dans The Manchurian Candidate, remake lui aussi d'un (excellent) film de John Frankenheimer réalisé en 1962. L'intrigue a été bien plus qu'actualisée, et à la lumière de la politique, des médias, et de l'état d'esprit général de l'après 11 septembre, il m'apparaît comme une oeuvre majeure...

Rescapés d'une mission durant la guerre du Golfe, deux anciens soldats, le Major (anciennement capitaine) Marco (Denzel Washington) et le Sénateur (anciennement sergent) Raymond Shaw (Liev Schreiber) vont tous deux se retrouver mêlés dans une étonnante affaire: le mois de novembre approche et l'un des partis en est encore à la nomination du candidat au poste de Vice-Président. Poussé par sa mère (Meryl Streep), le héros Raymond Shaw va finalement emporter la nomination. Marco, son ancien supérieur, se rend compte qu'ils ont en communs des pans entiers de phrases quand ils se réfèrent à certains souvenirs de guerre, et alerté par un ancien camarade de combat (Jeffrey Wright) qui a des rêves de plus en plus éclairants, Marco en vient à douter de la réalité de ses propres souvenirs, et du fait que Shaws soit un véritable héros de guerre...

Demme a toujours assumé une double casquette de cinéaste du vécu, dans une oeuvre documentaire et musicale (Stop making sense est encore dans tous les esprits) d'abord, et de cinéaste romanesque, dans des oeuvres de fiction brillantes: The silence of the lambs et Philadelphia sont là pour en témoigner, deux films qui entre-mêlent brillamment le vrai et le faux. Mais ce nouveau film est un thriller paranoïaque, tourné en 2004, autant dire à la fois post-11 septembre et post-X files! Mais justement Demme sait que le public du début du 21e siècle est rompu aux machineries complexes, et va pouvoir sans problème le suivre pourvu que son film soit bien construit. Pour ça, il n'avait aucun souci à se faire...

Mais entendons nous bien: il ne s'agit pas ici de faire son petit Oliver Stone et d'accuser à tour de bras les politiciens de fabriquer des candidats à coups d'implant. Le film est d'abord un thriller, un vrai, étanche et fourni en acteurs de premier plan. Outre les noms déjà mentionnés, on apercevra ici Jon Voight, Vera Farmiga, Bruno Ganz... Et tout le petit monde de Demme, qui le suit depuis tant de films. C'est un vrai plaisir de suivre le Major Marco dans le dédale de son enquête, et Meryl Streep se comporte en totale diva Hollywoodienne, délivrant un superbe numéro de premier choix; pas la peine d'y croire, on n'est pas là pour ça...

...Même si c'est tentant, bien sûr, mais je le répète: Demme n'est pas un complotiste, juste quelqu'un qui est suffisamment un connaisseur des médias pour savoir quel rôle il peuvent jouer. Car la force du film c'est de proposer, derrière l'intrigue délirante (et qui retranscrit assez fidèlement l'inquiétude des années 60, réactualisée à l'aune des années du terrorisme, et de la guerre aux infidèles menée par George Bush et sa clique), une image de la politique d'aujourd'hui, faite de carrières sur mesure déguisée en vocations divines, et aussi de nous rappeler de quelles façons les médias ont aussi leur mot à dire. Tout le film se déroule dans un environnement envahi par les médias, et c'est peu dire de rappeler l'importance, dans le thriller, du signe. Ces objets qui vont jouer un rôle dramatique, et souligner, compléter, informer, voire faire rebondir l'intrigue: gros titres de journaux, écrans de télévision, mais aussi photos, coupures de magazines ou les "passes", ces cartes informatisées qui sont fournies aux visiteurs dans les grands événements. Toute la mise en scène de ce film est un jeu de piste fait de ces signes, qui mènent tous à un moment, un événement programmé, qui ne nous sera révélé qu'au bon moment.

Et il se dessine une figure bien laide du monde dans lequel la vérité n'est plus que très relative, et où un candidat peut devenir président non parce q'il a des mérites, mais parce que son plan médias, comme on dit, est meilleur que celui des concurrents. La seule chose que n'avait pas identifié Demme ici, c'est l'importance es réseaux sociaux, remplacés ici par les réseaux tout court: ce fameux groupe Manchurian Global, une entité fictive bien sûr, et qui représente à lui tout seul, une fois de plus symboliquement, ces lobbies politiques qui vont se placer derrière des candidats et décrocher le jackpot: les hawks de George Bush, les infortunés de TF1 qui croyaient voir en Michel Noir un présidentiable (et se sont rattrapés sur le candidat Edouard Balladur, lors de la présidentielle de 1995), ou encore les sbires rassemblés autour de steve Bannon pour faire élire Donald Trump...

Le film n'est qu'une fiction; dans la fiction, on utilise des implants... Dans la réalité, il suffit de surfer sur la bêtise des gens.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Jonathan Demme Noir