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27 mai 2020 3 27 /05 /mai /2020 16:47

Ce n'est pas le premier film de Becker, qui a déjà réalisé à droite et à gauche des moyens métrages, et a fini un long métrage avant celui-ci. Mais c'est une oeuvre très accomplie, et un authentique classique, d'ailleurs adapté comme Les disparus de St-Agil et L'assassinat du Père Noël, d'un roman de Pierre Véry... 

La ferme des Goupi, en Charente, est la propriété de la famille du même nom depuis des générations. Ils ont d'ailleurs fini par prendre l'habitude de se marier entre Goupi... Il y a le patriarche, Goupi dit l'empereur (Maurice Schutz), 106 ans, et pas si gâteux qu'on ne veut le dire; l'aubergiste dit Mes-Sous (Arthur Devère) parce qu'il est très près des siens; La-loi (Guy Favières), l'ancien gendarme qui passe le plus clair de son temps à la chasse; Tisane (Germaine Kerjean), la vieille fille, est une sacrée garce, qui mène tout son monde à la baguette; Goupi-Dicton (René Génin), appelé ainsi parce qu'il se réfugie toujours derrière des phrases toutes faites, ne sert pas à gand chose dans la famille, et Goupi dite "cancan" (Marcelle Hainia) est tellement souvent priée de la fermer sans sommations, qu'on en finit par se demander comment elle a bien pu acquérir son surnom...

Un peu à part, on trouve aussi Goupi "Tonkin" (Robert Le Vigan), le nostalgique des colonies considéré comme un bon à rien, et amoureux de sa cousine la belle Antoinette dite "Muguet" (Blanchette Brunoy). Vivant à l'écart, Mains-Rouges (Fernand Ledoux) est un taiseux, un chasseur lui aussi, avec une morale, mais qui reproche à sa famille d'avoir causé la perte de la femme qu'il aimait... Avec les Goupi, vivent aussi Marie (Line Noro) dite "des Goupi", une domestique que "Tisane" voudrait voir décamper, et le timide Jean (Albert Rémy), son fils, simple d'esprit... 

Quand commence le film, on attend deux arrivées: celle d'un veau qui met du temps à naître, et celle d'Eugène (Georges Rollin) dit "Monsieur", le fils de "Mes Sous". Il a suivi sa mère quand elle a quitté son mari, mais on aimerait bien qu'il se marie avec Muguet pour perpétuer la tradition. Son surnom (qui lui a été donné par contumace) est dû au fait qu'on croit qu'il a réussi, alors qu'il n'est qu'un modeste vendeur de cravates. Je vous laisse deviner le surnom que lui donnera la famille quand ils l'apprendront... Quoi qu'il en soit, quand "Monsieur" arrive, il ne mettra pas longtemps avant de réaliser qu'il est chez des fous furieux: Mains Rouges vient le chercher à la gare et lui fait subir un bizutage en règle, aidé par Tonkin qui en rajoute dans le bizarre, et un vol a été commis, sans parler d'un assassinat, celui de Tisane... Vol et assassinat qui ne vont pas tarder à lui être mis sur le dos, bien entendu...

Sorti en 1943, soit la même année que Le corbeau, ce film est tout aussi noir! Même si j'imagine que le but de la production était de se reposer sur le côté "policier familial" des romans de Véry, je pense que Becker s'en est donné à coeur joie. Comme tout film Français produit durant l'occupation a alternativement la réputation d'être vaguement collaborationniste, puis profondément résistant, j'imagine qu'ici la balance penche surtout de ce dernier côté avec cette famille qui s'enferme dans le chacun pour soi, le soupçon, les vexations (ah, Tisane et ses coups de fouet à l'égard du pauvre Jean qu'elle ne peut pas piffer!) et cette obsession maladive pour l'argent... Mais si on peut en effet croire que Mains-Rouges, un paria qui s'avère un juste authentique à la fin du film, tend à incarner l'esprit de résistance à la bêtise des autres, le portrait qui se dessine, dans un film aussi noir que ses merveilleuses séquences nocturnes, est celui de la paysannerie... Un portrait peu glorieux, mais pas non plus totalement à charge.

Et avec le style impeccable de Jacques Becker qui transpose en France une mise en scène sous forte influence Américaine, son enquête interne (ce qui se passe chez les Goupi doit être résolu par les Goupi!), ses drôles de pourparlers politiques, et ses alliances inattendues, Goupi mains-Rouges est assurément l'un des grands films noirs à la Française.

 

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Published by François Massarelli - dans Jacques Becker Noir