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24 janvier 2021 7 24 /01 /janvier /2021 17:27

Comme on ne peut pas y couper, disons le tout de suite: non, ce film n'est pas une métaphore de l'innocence supposée de Roman Polanski, innocence à laquelle je ne crois de toute façon absolument pas. Mais ce n'est en aucun cas le sujet!

C'est la troisième fois à ma connaissance que le cinéma Français -ou la télévision- s'attache à l'affaire, la quatrième en comptant le biopic de Zola par Stellio Lorenzi diffusé sur la deuxième chaîne française en 1978, avec Jean Topart dans le rôle de l'écrivain. Mais seuls Méliès (en 1899, soit en pleine affaire) et Yves Boisset (à a télévision, en 1994), s'étaient par ailleurs attelés à la tâche, ardue et encore, probablement, piquante pour cause de critique directe d'une vieille dame indigne qui ne voit généralement pas d'un très bon oeil la critique: l'armée française... Polanski, qui adapte un roman de 2013 écrit par Robert Harris, s'est d'ailleurs décidé à demander le concours de la "Grande muette" et l'a obtenu.

Et ça c'est une bonne nouvelle...

On va donc suivre deux heures et douze minutes durant, le parcours du Colonel Picquart (Jean Dujardin), officier de carrière, membre de l'état-major au moment où Dreyfus (Louis Garrel) est condamné, témoin occasionnel de l'affaire, qu'en officier français d'origine catholique il juge entendue: Dreyfus est juif et coupable, ce sont deux raisons de ne pas l'aimer. Pour son état major, en revanche, Dreyfus est juif DONC coupable, et c'est ce qui va faire la différence. Car une fois bombardé à la tête des services de renseignement, Picquart va tomber sur des documents qui prouvent irréfutablement que l'auteur des documents qui semblaient incriminer le capitaine est toujours en liberté, et donc que Dreyfus est innocent. Le colonel, droit dans ses bottes, souhaite en avertir ses supérieurs, qui lui font vite comprendre qu'ils ne bougeront pas le petit doigt pour changer quoi que ce soit au destin du capitaine, emprisonné à l'île du Diable...

Polanski a conçu son film en prenant bien soin d'y reproduire l'époque et son atmosphère, mais son film n'entend pas être une reconstitution fidèle de tout ce qui s'est déroulé. Comme le roman dont il est tiré, qui donne le point de vue narratif de Picquart, le film est une évocation personnelle de l'affaire, vécue à la première personne, par un homme dont la rigueur militaire mais aussi les principes ne sauraient être mis en doute. Le parcours de Picquart, vaguement antisémite comme on l'était quasi naturellement dans la bourgeoisie et l'intelligentsia (voir à ce sujet deux hommes qui vont eux aussi évoluer, mais qui étaient en effet plutôt méfiants à l'égard de la communauté juive avant d'ouvrir les yeux: Jaurès et Zola eux-mêmes...), mais qui va oeuvrer pour rendre justice à un homme qu'il n'aime pas mais qui est innocent, tranche sur une société qui s'enferme dans la haine du juif au point de laisser l'injustice s'installer. A ce titre, le film nous rappelle dès la première scène (la dégradation de Dreyfus, une cérémonie glaçante) à quel point on avait de la haine par principe pour cet homme et ceux qu'il était sensé représenter; puis on assistera à des scènes auxquelles on ne pense pas toujours, mais qui ont eu lieu: l'autodafé rageur du numéro de L'Aurore où parut le fameux texte de Zola, mais aussi les livres de l'écrivain, pendant qu'on décorait les vitrines parisiennes des commerçants juifs de textes haineux, avant de les briser... 

Dans J'accuse, le détail a toute son importance, dans un souci permanent de la composition, et un style classique admirable de bout en bout; les planchers nous donnent à croire qu'on va sentir la cire, et craquent sous les bottes des officiers. Les attitudes des hommes sont imitées, parfois, de gravures d'époque, comme le jeu volontairement ampoulé de Melvil Poupaud qui incarne Maître Labori, l'avocat de la cause Dreyfusarde au moment du deuxième procès; ce style de prétoire, qui était également celui des députés à la chambre dans cette époque qui précède de plusieurs décennies l'invention de systèmes d'amplification, participe de la rhétorique de la troisième république... Maître Labori lui-même sera la victime d'un attentat, et la scène (présente dans le film de Méliès) est reprise ici, et donne lieu à une rare scène d'action pour Jean Dujardin. Sinon, l'acteur est d'une grande dignité, droit comme un I, et campe un homme juste et sûr de son bon droit: il est une fois de plus très impressionnant, dans un film dont un paradoxe s'avère intéressant: les deux hommes (Dreyfus et Picquart) ne se croiseront que très peu, et encore! plus que dans la réalité semble-t-il... Et impressionnants, tous les acteurs, du reste, le sont, derrière leurs moustaches de la mode 1890, sous leurs képis. Enfin, Polanski a retrouvé avec son chef opérateur Pawel Adelman une patine 1895 impressionnante, faite de boiseries sombres, d'intérieurs peu éclairés, et de références à la peinture contemporaine. Cette visite dans le paris de 1895, les ministères, les casernes et parfois même les prisons, est d'une grande beauté...

Non, si ce J'accuse indispensable (dont il est dommage qu'il ait subi le contrecoup de la campagne contre son réalisateur, une cause que je trouve par ailleurs justifiée) a un écho dans le monde contemporain, ce n'est en aucun cas dans la lamentable affaire Polanski qu'il faut le chercher. En 2018 en marge des manifestations des Gilets Jaunes, quelques mains anonymes ont peint sur des vitrines, 120 ans plus tard, des graffitis antisémites; les complotistes de tout poil sont de nouveau à l'affut de tout ce qui pourrait leur permettre d'exploiter une fois encore l'idée d'un "syndicat juif" comme on le nomme dans le film, qui en voudrait au reste de la population... L'affaire Dreyfus et ses saines conclusions historiques, sont parfois encore remises en cause. Ca ne s'arrêtera donc jamais?

 

 

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Published by François Massarelli - dans Roman Polanski