Au XVIIe siècle, à la suite du décès du vieux roi Louis XIV, le dauphin Louis, petit fils du précédent et futur XVe du nom, est trop jeune: en attendant que le monarque de neuf ans ne soit en âge de gouverner, la régence est confiée à Philippe D'Orléans (Philippe Noiret), neveu du roi défunt. Pendant son mandat, la révolte gronde en particulier en Bretagne où une poignée de nobles menés par le Marquis de Pontcallec (Jean-Pierre Marielle) tentent de soulever le peuple, afin de confier la destinée de la France au roi d'Espagne, et de créer une république Bretonne. Mais le ministre du Régent, l'abbé Dubois (Jean Rochefort), qui a des ambitions (bien que faux ecclésiastique, il souhaite devenir archevêque de Cambrai) veille à protéger le régime, en oeuvrant sans trop faire dans la dentelle. Pendant ce temps, autour du Régent, la fête, généralement crapuleuse et libertine, bat son plein...
C'est un film étonnant, à la fois portrait presque épicurien d'une époque révolue, presque rêvée et pourtant si apparemment véridique, et radiographie de la corruption qui mènera, d'une manière ou d'une autre, à la Révolution Française quelques 70 ans plus tard... Le film de Tavernier bénéficie assurément du relâchement de la censure tatillonne, et du coup le script co-signé avec Jean Aurenche abonde en dialogue mémorablement gonflé: les nombreuses femmes de petite vertu (prostituées et courtisanes)qui entourent fidèlement Philippe le régent sont d'ailleurs fort bien loties à cet effet: "Longue saucisse mais courte baise, disait ma mère"... Le personnage du Régent, très critiqué pour la faiblesse de ses moeurs et le ressenti d'injustice du peuple mais aussi de la noblesse, n'est pas en reste, exécutant un général incarné par Alfred Adam d'une phrase sublime: "Vous êtes un imbécile, un général pitoyable et un chrétien de dernier ordre"...
Dans le film, on lutine, on marivaude, on s'abêtit, on couche, bref on ribaude: mais pas n'importe où... tourné dans des décors aussi authentiques que possible, sans jamais qu'il y ait un excès de luxe apparent, les moeurs au sens large sont rappelées d'une fort belle manière, avec aussi un cynisme assez généralisé vis-à-vis de la politique et surtout de la chose religieuse, qui éclaire d'un jour intéressant l'histoire de France, généralement contée avec une omerta sur le doute religieux. A ce titre, l'abbé Dubois, rongé probablement par la maladie, ou les maladies, et auquel on rappelle sans cesse qu'il ne croit en rien d'autre que lui-même, ou bien sûr le flamboyant personnage de Philippe, cristallisé dans tous ses défauts, et rattrapé par le doute sur son régime en fin de parcours, sont fascinants, comme le flamboyant Marquis de Pontcallec, héros d'une autre trempe et d'un autre âge. Christine Pascal, Marina Vlady, Nicole Garcia et tant d'autres leur emboîtent le pas, mais que voulez-vous: Rochefort, Noiret et Marielle... Comment résister?
Pourtant, certains résistent: la fin montre que cette corruption généralisée, nauséabonde (Noiret la sent littéralement sur sa main) mène au feu, à la colère des victimes et à l'inévitable Révolution. Les personnages et leur monde passeront... C'est la principale leçon de ce beau film d'histoire, l'un des plus réussis du cinéma Français.