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28 août 2021 6 28 /08 /août /2021 08:32

François (Jean Gabin) est barricadé chez lui, tout là-haut, car il vient de tuer un homme et les autorités ont peur qu'il ne s'en prenne à la population, ou pire, qu'il ne dégomme un ou deux pandores... Pendant qu'en bas on s'actionne, on évalue et on essaie de trouver une solution, en haut François se souvient. Comment un jour à l'usine où il travaille, il a vu arriver un petit bout de bonne femme -Jacqueline Laurent) qui venait livrer des fleurs à la femme du patron, comment ils ont sympathisé parce que c'était leur fête à tous les deux, elle s'appelait Françoise. Et comment en la suivant par frustration (elle n'a pas voulu qu'il passe la nuit avec elle) il a découvert qu'elle avait de drôles de fréquentations...

Françoise, pour François, c'est celle qu'il n'aura jamais: dès le départ, toute communication est impossible entre eux, vu le bruit dans l'environnement où ils se sont rencontrés. Et ce défaut d'entente, en quelque sorte, se retrouvera tout au long de leur relation au contraire de la clarté aveuglante de la mini-idylle avec Clara (Arletty), la femme avec laquelle François va se consoler. Au contraire de la mystérieuse Françoise, Clara est offerte, comme dans cette scène censurée par ces salauds de Vichy, durant laquelle Gabin arrive chez elle, la porte est ouverte, et il voit depuis l'entrée la jeune femme, nue dans sa salle de bains, à peine voilée à un endroit sensible par une éponge, tout sourire dehors... Mais cette femme qui n'a rien à cacher est aussi celle qui va, doucement, se sacrifier.

Quant aux mauvaises fréquentations mentionnées plus haut, c'est un bateleur, dompteur de chiens (Jules Berry) de son état. Un sale type, en vérité, qui profite de son talent pour bien parler et séduire les innocentes. Enfin, innocentes, c'est vite dit: connaît-on vraiment la petite Françoise? En tout cas, c'est lui, le sale type Valentin, que François tue dans la première scène, que nous entendons plus que nous ne la voyons, du moins au début car elle reviendra par l'entremise du flash-back. 

De cette histoire, se dégage, comme dans Le quai des brumes, un parfum de mort, de condamnation en tout cas; certaines scènes donnent l'impression que cette mort ou cette fin est celle de la classe ouvrière, qui gronde en bas de l'immeuble où François vit ses derniers instants, mais encore une fois chez Carné, le mal qui ronge le héros est d'ordre privé, c'est la souffrance d'un seul homme, qui n'a pas pu réussir à aimer dans le bon ordre, qui est inadapté à l'affection de celle qui l'aime sans conditions (Clara) et qui s'obstine à vouloir celle qui n'est sans doute pas faite pour lui, qu'il idéalise au-delà du raisonnable, et qui d'ailleurs a le même prénom que lui; pas un hasard pour Carné qui continue à truffer ses films de petites allusions à l'homosexualité... 

C'est un immense film, une sorte d'invention à lui tout seul d'un film noir à la française, sans aucun handicap face au film noir Américain, et qui prolonge vers le noir absolu le "réalisme poétique" des deux films précédents. A travers ce flash-back d'une logique et d'une lisibilité absolue, de deux  ou trois rencontres (on croisera le jeune Bernard Blier et toute une faune tragi-comique dans l'immeuble où Gabin s'est retranché, des gens qui n'approuvent pas nécessairement le meurtre, mais qui comprennent, "et puis c'est un bon gars"), de quelques dialogues vertigineux (Arletty-Gabin, et puis surtout Jules Berry qui domine toutes les scènes où il apparaît) le film déroule une implacable destinée contrariée, une de plus. La photographie de Curt Courant (même s'il n'est pas crédité), la musique de Jaubert, les choix de Carné qui est l'un des rares cinéastes français à oser des montages muets (parce que ça bavasse, le cinéma français, vous avez remarqué!), tout concourt à faire du Jour se lève le chef d'oeuvre désespérant de son auteur!

 

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Published by François Massarelli - dans Marcel Carné Noir