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12 août 2021 4 12 /08 /août /2021 08:20

Au XVe siècle, on s'apprête à célébrer un mariage au château du baron Hugues (Fernand Ledoux): sa fille Anne (Marie Déa) doit épouser le baron Renaud (Marcel Herrand): ils ne s'aiment pas, et en ce qui la concerne, on la comprend totalement... Hugues, brave homme, apprécie pourtant l'impatient jeune homme, cassant et querelleur. Arrivent deux ménestrels, au pouvoir étrange, qui vont l'espace d'un instant figer la fête: Gilles (Alain Cuny) danse avec Anne, et Dominique l'androgyne (Arletty) danse avec Renaud, pendant que les autres convives restent figés. Leur mission, ramener l'âme deux deux futurs mariés au diable, en les tentant avec l'amour... La séduction a déjà commencé.

L'amour interdit comme antidote aux conventions d'un mariage arrangé... Si les deux auteurs, Carné et Prévert, ont cherché à s'éloigner au plus loin de leur terrain de prédilection contemporain et Parisien, un geste plutôt prudent en ce début d'occupation, on ne va malgré tout pas trop loin de la thématique habituelle de leurs films. Jusqu'aux Visiteurs du soir, tous les films de Carné et Prévert (ainsi qu'Hôtel du nord dont l'argument est dû à Jeanson) ont en effet tourné autour d'un couple qui défie son environnement. Mais là, au départ, la mission de Gilles et Dominique les identifie comme étant le mal. Il faudra que Gilles tombe amoureux d'Anne pour que le Grand Patron lui-même se déplace... Et c'est Jules Berry.

Sur le papier, Jules Berry en diable en collant, c'est étrange. Et c'est vrai qu'il a des mollets de coq, et qu'avec sa voix de titi Parisien forgée à la cigarette brune, on est loin de l'imagerie d'Epinal du diable médiéval de théâtre... Pourtant que acteur! Et sa présence, dans un film traité avec une extrême froideur avant son arrivée, illumine le film, le tourne vers la comédie par certains aspects, et en prolonge à loisir le côté fantastique. Bien sûr, c'est Dominique (Arletty) qui arrête le temps d'un coup de luth, dans une très belle scène; mais les pouvoirs du diable sont tels, et son obsession pour faire souffrir les amants si profonde qu'il en change le cours de la narration... Chacun des protagonistes devient son jouet. 

C'est que l'enjeu pour Carné est de parler d'amour interdit, bien sûr, et celui de Gilles et Anne l'est, aussi bien pour le diable que pour les hommes. Anne l'a bien compris: Marie Déa incarne sans doute le personnage le plus fort du film, celui qui va finalement tenir tête au diable, et on se réjouit que l'actrice ait eu la carrure de tenir tête à Berry, parce que sinon, on était mal parti avec ce pauvre Cuny... mais je m'égare. Amour interdit, donc, comme dans Le jour se lève, Quai des brumes ou Les Enfants du Paradis qui viendra plus tard, mais aussi confusion des genres avec l'un des plus étonnants et frustrants rôles d'Arletty, qui passe à loisir de l'enveloppe d'un homme à celle d'une femme, utilisant les conventions mélodramatiques habituelles: comment voulez-cous que nous spectateurs, ne la reconnaissions pas? Mais dans le film, déguisée en ménestrel, elle trompe tout le monde.

Le fantastique, ici, est froid, comme je le disais plus haut. Encore une fois, Carné et Prévert se sont tenus à l'écart de toute tentation d'allusion à l'époque délicate dans laquelle ils vivent. Et leurs premiers films, surtout Le jour se lève, étaient riche en velléités d'insurrection, qu'elle soit poétique ou plus politique. Mais le choix d'une intrigue médiévale est un tour de passe-passe qui fonctionne. Les décors, désolés mais authentiques, de la Provence, et le contraste avec cet étrange château blanc dans lequel se passe l'intrigue, la lenteur contemplative de la narration, et les effets spéciaux excellents font le reste.

On est pourtant sur sa faim: le choix d'un jeu souvent trop retenu, où seul Berry laisse libre cours à sa verve, peut-être. La fadeur de Cuny, qui est abominable, certainement, tout comme le sentiment qu'Arletty n'est pas tout à fait à sa place. Le fait est qu'on parle le plus souvent d'un chef d'oeuvre, ce que le film n'est pas. Trop long, parfois trop bavard, parfois pas assez... Quant à la polémique soulevée par ce bon Desproges, je ne m'y risquerai pas. Le coeur qui bat à la fin, sous la pierre, est-il celui de la résistance? J'en doute fort. Par contre, le film fantastique comme antidote à l'époque, à l'écart du tout-venant? Ca oui.

 

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Published by François Massarelli - dans Marcel Carné