Le jeune James Bond (Daniel Craig) infiltre une partie de poker de haute voltige afin de pouvoir entraîner la chute d'un financier interlope, l'ambigu Le Chiffre (Mads Mikkelsen)... Mais celui-ci est sous la coupe de gens encore plus tordus que lui, et la situation se complique pour Bond et Vesper Lynd (Eva Green) la comptable employée par le MI-6 pour l'assister... D'autant qu'ils sont tous les deux tombés réciproquement amoureux.
Vous avez bien lu: je me suis efforcé de fournir, cette fois, un synopsis, certes succinct, pour un James Bond. Non que ce soit l'élément le plus intéressant, pas plus cette fois-ci que les autres, mais parce que ça nous permettra d'éclairer certains aspects du film qui en font l'un des meilleurs de la série... Et même plus: je pense qu'on peut aller vers Casino Royale comme vers n'importe quel film, en ignorant absolument tout de ce qui fait le mythe, la saveur, ou éventuellement les éléments récurrents-irritants de cette franchise vénérable...
On y perdrait quelques gags au change, remarquez, puisqu'il s'agit d'un reboot, soit un retour en arrière pour recommencer en effaçant de la saga ce qui précède: les scénaristes se sont amusés à truffer le film d'allusions à tout ce qui a fait l'univers des 21 films qui ont précédé, notamment ces petits détails: les types de boisson consommées par les divers Bond (ce ne sont pas forcément les mêmes. Parmi les allusions, ma préférée reste le moment où Bond demande un Vodka-Martini, et quand on lui demande si ce doit être "Shaken or stirred", il répond que ça n'a aucune importance... Sinon, bien sûr, il va se débrouiller pour rouler au volant d'une Aston Martin! ...What else? Et si le film fait, comme Die another day, allusion à une scène sensuelle de Dr No, il le fait en inversant cette fois le rôle et la nudité: c'est Daniel Craig qui sort de l'eau, et non Ursula Andress...
Mais une fois de plus, dans ce film plus que soigné, ce n'est pas ce qui revêt de l'importance. Il faut croire que le fait qu'un Bond tombe amoureux, en revanche, jour un rôle de premier plan dans la réussite d'un film, puisque la seule autre fois, c'était dans le (parfois gentiment foutraque voire psychédélique) meilleur film de la série à mes yeux, On her majesty's secret service. Mais contrairement à ce qui s'est passé pour George Lazenby avec Diana Rigg, Bond et Vesper Lynd vont filer le parfait amour et même consommer allègrement leur union, entament vers le dernier tiers du film une vie de couple à Venise... Sans tomber dans le ridicule; et Eva Green et Daniel Craig forment un couple non seulement d'une classe folle, mais qui plus est tout à fait crédible. Ajoutons qu'il sont égaux, même si l'un d'entre eux a un peu plus de familiarité avec la violence extrême de la vie d'aventurier!
C'est sans doute l'autre aspect le plus intéressant d'ailleurs: car au-delà du métier indéniable de Martin Campbell, routier du film d'aventure, qui est déjà passé par la case Bond en se permettant de tourner un des films avec Pierce Brosnan qui reste regardable, ce qui n'est déjà pas si mal (GoldenEye en 1995), le film est aussi l'occasion de se pencher sur le rapport de Bond à a violence, en même temps que tout ce qui fait le personnage et son métier: car dans la première séquence, d'ailleurs filmée dans un noir et blanc bien sec, on apprend que le jeune agent n'est pas encore un 00. Ce qui sera bientôt chose faite... Mais le film justement est entièrement une réflexion sur la violence et ce qui rend le fait d'être un agent secret, parfois, un sale métier. Au moment de sa deuxième occasion de tuer un homme (un agent double qui a fauté et trahi M), il admet que la deuxième fois, c'est plus facile... Mais ça ne l'est pas: comme le disait déjà Hitchcock dans Torn Curtain, tuer un homme, c'est ardu, physiquement et moralement épuisant. Du début à la fin, Bond-Craig donne clairement l'impression de chèrement se dépenser, et ça se voit... Et même, il partage cette difficulté avec Vesper, achevant de sceller leur étrange couple. Mais la violence de cette profession, et son exercice, deviennent du même coup le sujet réel du film.
Ajoutons que cette redéfinition passe également par le fait d'étoffer un peu la direction incarnée par M (Judi Dench), qui se voit dotée d'un lien quasiment maternel avec Bond qui lui en fait, bien sûr, voir de toutes les couleurs. Exit donc les gadgets et le folklore d'un autre âge: Q a de toutes façons disparu de la franchise, mais Moneypenny aussi. Dans le cadre d'une aventure de James Bond, leur lien reposant sur tant d'années à jouer au chat et à la souris n'aurait de toutes façons aucun sens.
Mais tout ceci ne dévoile sans doute pas toutes les ficelles d'un film réussi, et c'est sans doute ce qui finit pas faire totalement le charme de Casino Royale: cette impression d'avoir enfin, pour une fois peut-être et la dernière fois certainement, échappé à toutes les sales manies de la franchise... La dernière fois bien sûr, car du coup, Martin Campbell, Daniel Craig et tous les autres (au fait, TOUTE l'interprétation est fantastique) ont créé d'autres petites manies qui ne manqueront pas de revenir à la charge dans tous les films suivants. Rien que pour prouver ce que j'avance, rappelons que comme pour Diamonds are forever, un navet cosmique qui suivait On her majesty's secret service, ce royl Casino Royale est suivi pour sa part de Quantum of solace, un film qui est aussi con et inutile que son titre ridicule.