Quatrième long métrage de Martin McDonagh, ce film partage avec ses trois prédécesseurs (ainsi qu'avec le court métrage Six shooter, premier film du metteur en scène en 2004) un format de comédie d'humour très noir dans des circonstances dramatiques...
A Inisherin, une île isolée à quelques encablures des côtes Irlandaises, deux hommes sont amis. Et le fermier Padraic (Colin Farrell) vient chercher le musicien Colm (Brendan Gleeson), pour se rendre au pub, parce qu'à 14h, c'est ce qu'ils font tous les jours. ...mais pas cette fois! Padraic voit bien qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, et sa soeur (Kerry Condon) lui dit d'ailleurs "peut-être qu'il ne t'aime plus"...
C'est exactement ça: Colm ne souhaite plus perdre son temps avec Padraic, qui le prend très mal. Afin d'enfoncer le clou, Colm explique à son ami qu'il ne doit plus lui parler, ou alors il se coupera les doigts un à un... ce qui pour un violoniste est un problème! Mais Padraic ne voulant pas perdre cette amitié, s'acharne...
On retrouve un peu la dynamique déjà établie dans In Bruges, entre les deux acteurs principaux! Mais à la richesse visuelle et la sophistication décalée de la Venise Belge, ici, se substitue une Irlande certes de cartes postales, mais aussi d'une incroyable austérité. Ces murets qui délimitent les terrains et les chemins, qui semblent tracer des vies dont on ne peut dévier, donnent un cachet particulier à cette magnifique mais terrible région côtière!
Et justement, dévier, c'est ce que veut Colm, qui interroge la fatalité et se dresse contre une sorte de destin qui le pousserait à regretter toute sa vie de ne pas remettre en question une amitié bizarre avec Padraic, qui, il faut bien le dire, n'est pas à première vue un prix Nobel... pas à seconde vue non plus d'ailleurs. Le film, cruellement, le montre tromper l'ennui dans lequel son amitié perdue le place, en passant du temps avec Dominic, le fils du gendarme local, qui est officiellement l'idiot du village. Et Siobhan, la soeur, part de l'île, parce qu'elle ne supporte plus de vivre avec son frère...
Le film est riche en dialogues noirs mais hilarants, ciselés en répétitions magiques, qui enfoncent le clou d'un point de non-retour. On comprend que Colm en ait assez, mais on comprend que Padraic ne se laisse pas faire! Et dans cette querelle de voisinage qui dégénère en guerre civile (pendant qu'une autre, authentique guerre civile celle-là, se déroule en coulisses), on en vient à constater qu'à travers cette parabole, McDonagh nous parle ni plus ni moins que de ruptures, de fins de ban, d'une amitié qui arrive au bout, et de la difficulté de prendre son indépendance... Quel pays mieux que l'Irlande peut prétendre à être idéal pour une telle thématique? Et s'il est inévitable, compte tenu de sa place dans l'histoire du cinéma, qu'on pense parfois à The quiet man et à John Ford, on ne pourrait pas être plus loin de cette Irlande-là, qu'avec cette histoire amère...
Le film est plus austère que jamais, et en particulier plus difficile à passer que Three Billboards outside Ebbing, Missouri, mais il vaut la peine d'être vu... Ce qui ne sera pas possible avant le 28 décembre, date de la sortie générale; pour l'instant il n'a été montré que dans des festivals...