Carl (Charles Emmett Mack) et Mary (Norma Shearer) se rencontrent, et ils ne pouvaient pas être moins assortis: lui, gibier de potence, à peine sorti de prison et déjà déterminé à poursuivre une vie de crime, et elle, ancienne artiste de cirque, tombée dans la déchéance, croit dur comme fer en une vie saine et sans reproche... Mais ils s'aiment et grâce à Mary, Carl envisage de se réformer. Mais pas sans un dernier coup...
Engagée dans un cirque, Mary monte un à un les échelons, mais s'attire les foudres de Yonna (Carmel Myers), la vedette du cirque, dont l'amant (John Miljan) reluque la nouvelle venue avec gourmandise... Le drame couve, ou plutôt les drames...
C'est le premier film Américain de Benjamin Christensen, et pour ceux qui ne connaissent pas le monsieur, un petit rappel: dans les années 10, le metteur en scène (et acteur, et scénariste, et baryton à l'opéra) Danois a été l'un des plus importants pionniers du médium, un homme dont les deux films réalisés durant la période ont fait la preuve des possibilités dramatiques de la lumière et de la façon dont on pouvait transmettre de l'émotion, et accroître l'implication du public, par des effets esthétiques inspirés des grands maîtres de la peinture... Et pour couronner le tout, son troisième long métrage (a priori, car les sources divergent, mais il se peut qu'il en ait également commis un entretemps, achevé ou non), le brillant Häxan, a inventé un genre à lui tout seul, en proposant un documentaire romancé et passionnant, sur une vue personnelle et subjective de l'obscurantisme religieux, à grands renforts d'images toutes plus belles les unes que les autres. Avec ces trois films, Christensen serait un géant, l'un des plus importants artistes du cinéma, si...
S'il n'y avait les autres. Car après Häxan, ce qu'on voit de lui, forcément, déçoit... Il a voulu tenter d'autres voies, d'autres approches: une comédie Allemande extravagante mais aussi un peu gnan-gnan, dans un pays pourtant pas réputé pour la comédie (Sa femme, l'inconnue, avec Lil Dagover), et puis aux Etats-Unis, il est devenu un metteur en scène de studio... ou pas d'ailleurs, car son parcours à ce moment-là montre que le bonhomme, habitué à travailler seul et en démiurge total, a bien souffert d'un système industriel dans lequel le metteur en scène n'est qu'un rouage, un facilitateur de films plus qu'un auteur. C'est donc dans les usines de la MGM naissante que le metteur en scène Danois et ombrageux a réalisé ce petit mélo, qui est, une fois admises quelques réserves, une plutôt bonne surprise:
Car si le script (avec rencontre du mauvais garçon et de la madone, comme dans Intolerance) ne va pas très loin dans l'originalité, Christensen adopte dès le départ une double démarche: d'une part, sa directions d'acteurs est irréprochable, et il fait assumer à chaque protagoniste la part mélodramatique de son personnage, sans honte ni remords, mais tout en trouvant une certaine vérité. Carmel Myers en particulier, est excellente, et on apprécie de voir Charles Emmett Mack, un probable inconnu aujourd'hui pour la plupart des gens, se voir gratifier d'un rôle plus complexe et plus riche que les sempiternels mauvais garçons auxquels il était généralement cantonné...
Et d'autre part Christensen conditionne apparemment sa mise en scène au matériau qu'on lui a donné (il n'st pas responsable du script, rappelons-le) et utilise avec parcimonie des trouvailles et embellies, qui lui permettent de reprendre le contrôle sur le film: une fois établie la situation, il commence à mettre plus de lui-même dans le film, et une belle séquence de cambriolage, racontée avec des ombres, et montée avec bonheur, fait s'emballer le film; un accident dans le cirque est aussi une prouesse de montage et de narration, et les très belles images qu'il utilisent pour montrer la guerre (vue du point de vue d'un soldat abattu et nostalgique à la veillée, plutôt qu'avec l'enfer des tranchées: Christensen ne souhaitait pas rivaliser avec King Vidor et sa Grande Parade!) montrent en effet son sens de l'économie, et sa faculté à raconter une histoire d'une façon intéressante, fut-elle mélodramatique: c'était déjà son point fort avec L'X mystérieux (1913) et La nuit vengeresse (1916), ses deux premiers films. Il signe d'ailleurs ce mélo qui lui a été confié en apparaissant brièvement au début dans un de ses déguisements préférés, celui de Satan!
La suite de sa carrière ne transformera pas l'effet, en dépit d'un Seven footprints to Satan rigolard et d'assez bonne tenue pour la First National en 1929: ses autres films MGM vont être l'occasion de se laisser broyer par le système, et je ne connais sans doute pas de pire purge que Mockery (1927) tourné avec Lon Chaney, dans lequel l'intérêt ne décolle absolument jamais. rentré au Danemark, Christensen est aussi rentré dans le rang. Et il est devenu pour l'éternité et le cinéphile moyen, l'homme d'un seul film...