1840, dans le Sud profond, les Maxwell, père (James Mason) et fils (Perry King) ont une plantation certes d'aspect miteux, mais ils ont une réputation; ils ont aussi beaucoup d'esclaves à revendre... Littéralement: le vieux Maxwell se sent une âme d'éleveur, et a une philosophie qui lui permet d'avoir réponse à tout concernant les relations entre maître et esclaves: pour chaque faute commise, une punition sera vite trouvée; pour éviter que les esclaves soient trop savants, il faut à tout prix les empêcher d'avoir de la religion; les jeunes esclaves se doivent d'être déflorées par leur maître, et... il est important de garder une esclave pour les besoins sexuels, parce que les blanches n'aiment pas ça!
Et justement, il est temps pour Hammond Maxwell, son fils, de se marier, et son père a décidé que ce sera avec Blanche (Susan George), sa cousine... Mais Hammond (qui n'a jamais eu de rapports avec une blanche) découvre qu'elle n'est pas vierge. La zizanie s'installe dans le couple, poussant Hammond à se consoler avec la jeune Ellen, une esclave, et Blanche à boire plus que de raison, et à chercher un moyen d'atteindre son mari qui la néglige...
Père et fils ont une ambition, celle d'élever un "mandingue", soit un esclave-étalon: durant son voyage pour aller chercher sa fiancée, Hammond est tombé sur la perle rare, Ganymede (Ken Norton): non seulement sa carrure le rend particulièrement attractif, mais en prime il est doté de qualités qui en font certainement, aux yeux de tous ces obsédés de la "race", un excellent géniteur.
Bon, je pense qu'on peut arrêter de tourner autour du pot: aujourd'hui, en argot Américain, mandingo est l'un des 457 surnoms donnés au pénis, et je ne serais pas étonné que ce film puisse être à l'origine de ce fait linguistique! Pourtant le film évite d'être trop explicite sur le sujet, et le personnage de Ganymede, surnommé Mede, va surtout être exploité pour sa force physique globale... Par Hammond qui le fait combattre; par le vieux Maxwell qui lui impose de s'accoupler avec une autre esclave physiquement avantageuse; et enfin par Blanche pour sa vengeance...
Le film se repose un peu sur Gone with the wind, dont on se sert ici comme d'un repoussoir. A la plantation de grand standing des O'Hara, se substitue donc une demeure sale et négligée, aux pelouses qui ont pris leur indépendance. Aucune noblesse chez les Maxwell, qui ont depuis longtemps fini par s'accommoder de leur vie de maîtres d'esclaves en ne faisant absolument plus rien; le vieux se perd donc en considérations variées, tenant des conversations hallucinantes sur le pouvoir animal des esclaves pour absorber les rhumatismes (d'où une impressionnante partie du film dans laquelle Mason s'assied, les pieds sur un garçonnet...), et ne manquant pas une occasion de rappeler que pour eux les esclaves sont des animaux, rien de plus... Quand une adolescente est malade, on appelle même le vétérinaire. C'est principalement dans les 20 premières minutes que toutes ces notations dérangeantes sont placées.
Néanmoins, il n'échappera à personne qu'à côté des tant convoités Mandingos, les Maxwell sont un bien piètre échantillon humain! Le père est gâteux et perclus de rhumatismes, le fils est boiteux, et la belle-fille est alcoolique et s'est formée à sa sexualité avec son frère... Du coup, la possession d'un super-esclave devient plus qu'un enjeu de société (car c'en est un, au vu de la façon dont les prix s'envolent quand un "Mandingue" est mis aux enchères), mais un reflet de leur force et de leur humanité perdues... un reflet aussi de leur frustration. Un reflet enfin d'une civilisation destinée à disparaître dans le chaos, car il n'échappera à personne que dans ce film, les esclaves sont tous nommés de noms historiques européens, grecs et romains, de Cicéron à Lucrèce Borgia, en passant par Agamemnon, ou encore Ellen (Hélène)... Oui, cette société est condamnée à... être emportée par le vent, bien entendu.
C'est aussi la dimension Shakespearienne du film qui se manifeste d'ailleurs, à travers cette famille dont le père souhaite maintenir une lignée, contre l'avis de son fils qui souhaiterait tant se contenter de ses esclaves. Il est d'ailleurs atypique, car il développe des sentiments pour elles, et est perturbé quand il doit punir l'esclave Agamemnon. Et le scandale viendra de Blanche, la si opportunément nommée, qui se comportera de telle façon que personne ne discutera quand il sera question de la tuer en douce. Tout ça, se finir dans le chaos, dans le sang: fin de règne, filiation contestée, épousée qui devient le ver dans le fruit... du Shakespeare, je vous dis!
Mais du Shakespeare scandaleux. La réputation désastreuse de ce film est peut-être forgée à partir de ses nombreuses provocations (nudité à gogo, scènes sensuelles, discussions franches sur la sexualité, discours racial immonde des personnages) mais aussi sur une certaine tendance à l'exploitation pure et simple (Fleischer qui venait du Hollywood des années 50 s'est bien accommodé du ton libre des années 70, au point que le film subira de nombreuses coupes dans de nombreux pays, et même en Scandinavie! )... Un autre aspect est son interprétation souvent excessive, qui devient assez vite agaçante! Pourtant, il aborde la question de l'esclavage en refusant le pittoresque auquel tant de films nous ont habitués. Il y situe bien le troublant double standard de l'interdit (un noir avec une blanche) et de la tradition (un blanc avec une noire) comme le montre bien l'affiche ici présente... Il est sans doute le premier film à montrer avec autant de précision l'exploitation systématique de l'homme par l'homme, l'obsession de l'animalisation des êtres humains par le système économique de l'esclavage...