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  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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29 juin 2023 4 29 /06 /juin /2023 08:10

Dans les Pyrénées Orientales occupées, en 1943, Marc Cros (Jean Rochefort) est un sculpteur âgé, totalement détaché et en manque cruel d'inspiration. Son épouse Léa (Claudia Cardinale), son ancien modèle, trouve Mercé (Aida Folch), une jeune réfugiée, Espagnole évadée d'un camp qui vagabonde dans le village. Elle lui offre à manger et propose à son époux de la prendre comme modèle... Entre le vieil artiste et la jeune femme, une étrange relation va se nouer, et l'inspiration revenir... Mais le temps passe et les événements vont les rattraper.

Dès le départ on sera séduit par ce noir et blanc volontaire: touffu, organique, il ne cherche pas à singer celui des films de l'époque qu'il nous présente, et même s'il joue bien sa fonction de donner une illusion fugace d'ancienneté, il est aussi là pour permettre à ce film dans lequel le corps d'une jeune femme est quasi systématiquement exposé au regard et au toucher, de prendre malgré tout une certaine distance. Oui, le corps, mais aussi sa nudité, sont précisément le sujet de ce film, comme ils sont le sujet de l'oeuvre qui finira par naître des mains de Marc Cros...

Mais jamais, dans ce film situé en 1943, la situation ne sera convenue. On croise bien la guerre et son cortège de signes, les Allemands qui venaient de franchir la ligne de démarcation et s'installer dans le Sud, sont au village; il y a des résistants qui agissent la nuit, et Mercé va cacher l'un d'entre eux. Un esthète Allemand (un écho du Silence de la Mer?) se plaint de ce que son état-major et son gouvernement aient censuré certains ouvrages, qu'il retrouve avec émotion dans l'atelier de Cros, sans savoir qu'ils sont tombés du sac d'un soldat Américain parachuté... Mais non, Jean Rochefort se se saisira pas d'un fusil pour donner raison au général de Gaulle! Il s'en saisira pour protéger son modèle, en tiant des chevrotines en l'air pour éloigner des gamins, venus espionner la belle dame toute nue se faire sculpter... C'est d'ailleurs assez burlesque, de voir que "la morale" ambiante est incarnée par ces gamins autant que par le curé qui les sermonne, ou la bonne Espagnole échappée de chez Almodovar qui grogne de temps à autres en pensant qu'on reluque des femmes nues (Chus Lampreave)

La cohabitation entre Jean Rochefort, à la fin de sa vie, bourru et fantasque, dont le visage fatigué, émacié, possède à la fois une gravité mystérieuse, et une tendresse évidente qui transparaît dans ses yeux, et la jeune Aida Folch, une jeune femme naturelle, qui s'est «faite» dans l'adversité, et qui en a gardé un penchant pour les risques à une époque délicate, est un cheminement vers la complicité, vers ce moment où chacun des deux aura vu un peu plus en l'autre que ce qu'il ou elle veut bien montrer. C'est la sculpture, les moments à chercher avec les yeux, les outils, et parfois les mains, ce que le corps pourra montrer et offrir. C'est dire s'il fallait sansndoute protéger Aida Folch, qui s'offre au regard, d'abord réticente, toujours pudique jusqu'à la fin quand sa nudité outrepasse le champ artistique. Il est troublant de voir celle qui se dénude d'un geste quand le sculpteur lui dit «au travail», se couvrir à l'approche d'une tierce personne... Entre l'artiste et son modèle, pas de chichis, jusqu'à ce qu'un événement inattendu se produise, un moment où Marc Cros se rend compte qu'il désire la jeune femme...

La relation est touchante, et tout y est vu d'un point de vue (le corps, la blancheur de la peau magnifiée et maquillée par le noir et blanc, soit le point de vue de Cros) ou de l'autre (la vie du vieux sculpteur, le monde cruel de 1943, l'existence d'une vie nocturne parallèle, celle de la résistance, donc le point de vue de Mercé). Pourtant si Mercé nous apparaît de plus en plus, Cros gardera son mystère jusqu'au bout... Obsédé par l'idée de créer une nouvelle fois (ou une dernière fois?), peu regardant sur ses amitiés à l'heure où il faut choisir son camp, indifférent aux événements, et un peu cassant avec la jeunesse de son modèle, l'impassibilité de Jean Rochefort fait merveille et comme seul Jean Rochefort pouvait le faire, crée une sorte de vie intérieure qui ne livrera jamais tous ses secrets... Aida Folch de son côté incarne en douceur la jeunesse, une sorte de dernière chance aussi bien artistique que sentimentale, pour le vieil artiste, ce qui n'est pas sans rappeler The age of consent, de Michael Powell dans lequel c'est le peintre James Mason qui redécouvrait la vie à travers les courbes voluptueuses d'une sauvageonne incarnée par la jeune Helen Mirren. Une scène durant laquelle Marc se livre à des études du corps de la jeune femme, qui batifole dans une mare, me semble d'ailleurs être une référence directe...

Et ce n'est pas rien. Un bien beau film, hommage constant à l'art, mais aussi au corps, à sa sensualité, à travers le corps non formaté d'une jeune femme. Une évocation du temps aussi, à travers la mise en valeur des âges et de leur différences. Un conte mélancolique aussi, dont le noir et blanc profond réhausse l'impression d'une matière faite de la peau, de la glaise, des mains ridées d'un vieil artiste qui contemple ses derniers moments de création, à sa plus grande surprise...

 

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Published by François Massarelli - dans Fernando Trueba Jean Rochefort