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2 novembre 2024 6 02 /11 /novembre /2024 09:20

Et pour commencer, il est rare qu'un cinéaste annonce la couleur aussi clairement: "cec sera mon dernier film"... Mais à 94 ans, c'est d'autant plus crédible qu'effectivement ce soit le cas! Il est rare aussi que le dernier film d'un cinéaste de premier plan soit une grande oeuvre, on pourrait multiplier les exemples, de Renoir à Hitchcock en passant par Lang, de dernier film miteux, honteux, indigne... D'une dernière étape dans le parcours qui s'avère trop proche d'un geste désespéré: filmer pour ne pas mourir...

La démarche mérite d'être saluée, mais on le verra vite, c'est surtout en tant que film de Clin Eastwood, pas en tant que dernier film qu'il nous conviendra de voir cette dernière étape d'une longue et fascinante carrière.

Un procès va se tenir à Savannah, en Géorgie. Un jeune homme, qui s'apprête à devenir papa, est convoqué pour être éventuellement juré dans un procès pour meurtre. Justin Kemp (Nicholas Hoult)  est apparement un brave homme, sans histoire... ce qui est trompeur, on le verra vite.  L'accusé (Gabriel Basso)   encourt une peine de perpétuité, et clame son innocence: il a été vu doté d'un comportement violent en compagnie de s a petite amie (Francesca Eastwood)  un soir de 2021, et elle a ensuite été retrouvée morte, couverte de contusions, le lendemain en contrebas d'une route.. .. La procureure, Faith Killebrew (Toni Collette) a beaucoup à jouer dans l'affaire, car elle est en campagne pour se faire élure procureure générale de l'état de Georgie. Les éléments sont en place, du moins presque tous: deux autres faits sont à prendre en compte; le couple Kemp attend un enfant, mais ce n'est pas la première fois qu'ils essaient, l'arrivée imminente de leur fille est un événement crucial voire une seconde naissance pour le jeune homme. Son épouse (Zoey Deutch) le sait: il est alcoolique, et depuis quatre ans, il remonte la pente, après avoir eu un accident grave sous l'influence de l'alcool...  

Pendant l'exposé des faits, le jeune juré se rend compte qu'il n'est pas étranger à cette histoire, et se souvient d'avoir heurté quelque chose en voiture, le soir du meurtre. Il avait justement passé une partie de la soirée au bar où le couple de l'affaire avait été vu, durant leur dispute... Et il sait désormais qu'il est juré dans une affaire dont il aurait du être l'accusé...

C'est beaucoup de coïncidences, et j'imagine qu'on le fera remarquer à un moment ou un autre. Mais le cinéma, qui fonctionne de toute façon sur l'utilisation du faux pour recréer le vrai, se base sur la rupture de l'incrédulité, le moment où le spectateur qui sait qu'on lui raconte une histoire interprétée par des acteurs, accepte le mensonge qu'on lui donne à voir et se laisse aller au fil de l'intrigue. Et l'exposition du film est particulièrement prenante, le personnage aussi particulièrement sympathique... C'est là que le spectateur s'engage inévitablement aux côtés de Justin et de sa culpabilité dérangeante...

Car Eastwood ne se contente pas de raconter une histoire épatante et incroyable pour épater la galerie, il va plus loin. Il questionne, et pas pour la première fois, une institution Américaine, cette fois la justice, dans l'expérience d'un individu, comme auparavant il avait présenté des parcours de mavericks (de Harry Callahan à Bronco Billy, en passant par le Red Stovall de Honkytonk man) confrontés à un système soit qui les excluait, soit dont ils s'excluaient eux même... Il questionne plus avant la justice face à l'individu, d'une manière plus générale, ce qu'il a fait dans le récent Richard Jewell, mais aussi et surtout dans Midnight in the garden of good and evil en 1997, l'un de ses films les plus mémorables, et situé d'ailleurs... à Savannah en Georgie.

Quel individu? Finalement, plus qu'on ne croirait, il n'y a pas ici qu'une seule personne en jeu, même si Justin Kemp, bien sûr, reste le principal personnage. Après tout, la façon dont la culpabilité inattendue de Justin Kemp éclaire le film, finit par impliquer Faith, la procureure qui a tant intérêt à mener ce procès à son terme, sans aucun accroc, et qui a donc besoin que l'accusé officiel devienne le condamné officiel. Elle n'a donc aucun intérêt à ce qu'un élément extérieur ne vienne jeter le doute sur la façon dont l'enquête et l'instruction ont été menées. Un autre juré, l'ancien policer Harold Tchaikovsky (J. K. Simmons), se rend compte très vite que des pistes policières n'ont pas été explorées, et va planter insidieusement les graines du doute dans le parcours de la procureure... Le sponsor (Keifer Sutherland) de Justin, qui reçoit sa confession, sait donc la vérité, mais conseille de ne rien faire au prétexte que l'accusé est detoute façon un sale type, ce qui tient lieu de certitude pour une grande part des jurés... Certains d'entre eux ont même tendance à vouloir condamner l'accusé, pour le punir de leurs propres blessures... Même l'épouse a un comportement qui nous laisse croire qu'elle pourrait basculer du mauvais côté: la naissance de sa fille est pour elle (légitimement) le plus important, donc si son mari pouvait expédier son devoir de juré, ce serait très bien...

Mais le film se tient surtout sur la personnalité ambigue de Kemp, qui au lieu d'expédier son acte de participation à la justice, va essayer de trouver un juste milieu, d'amener ses co-jurés (qui sans lui auraient trouvé une unanimité contre l'accusé en deux temps trois mouvements) à reconsidérer, et envisager le doute raisonnable, ce concept judiciaire qui permet à un juge de décider l'acquittement d'un prévenu. Il tente donc de surfer entre l'évidence pour lui que l'accusé ne peut payer pour son crime à lui d'une part, et d'autre part les risques qu'il court, car son délit de fuite ("hit-and-run") lui fait risquer gros, et il sait que la justice ira chercher un autre coupable si jamais l'accusé n'est pas condamné. Le dilemme est donc épineux... Et dans un prmier temps, le personnage tente de se persuader que sa démarche est noble, ce qu'une conversation finale avec la procureure fera exploser en plein vol...

Eastwood questionne finalement autant les parcours individuels que le concept de justice; il montre les jurés obsédés par l'idée d'en finir au plus vite pour retrouver leur routine personnelle,sans se soucier plus avant du destin de l'accusé ("bien sûr qu'on ne sait pas s'il a tué sa petite amie, mais il a quand même l'air d'être une belle ordure"), ou du réel concept de justice. Il montre la procureure hésiter: doit-elle mettre sa propre carrière en danger sous prétexte d'exprimer un doute? Le policier en retraite, qui a flairé un cas plus épineux qu'il n'y paraissait, va au-delà de ce que la loi lui permet, en replongeant dans une enquête qui ne lui appartient pas. La loi est la loi, et il va dvoir abandonner son rôle de juré, échappant de peu à une contravention... Mais pourtant il a raison sur toute la ligne...

On reconnait Eastwood le libertarien dans cette mise en perspective de l'impossibilité d'aligner la volonté légitime d'un individu, et un système apparemment huilé, mais qui fonctionne de façon absurde (ce que le réalisateur souline parfois avec des personnages, comme cette rapporteuse du jury, qui se repait de son importance d'un jour, ou cet avocat de la défense qui essaie tout et surtout n'importe quoi, pour masquer une certaine incompétence...). ce peut être agaçant, mais il n'avance aucune thèse, aucune remise en question profonde. Le film est juste une radiographie de la notion de justice, dans un cadre parfaitement défini. Une réflexion, en quelque sorte, entamée avec les frasques provocatrices de l'inspecteur Dirty Harry, prolongée avec l'ambiguité du Pale rider, la revendication du droit à la paix du tueur de Unforgiven, ou la façon dont parfois, dans True crime ou dans Mystic river, la justice ou la recherche de la vérité dans le cadre judiciaire, se met en porte à faux de la tranquille petite vie d'un citoyen, ou de sa famille, qu'il soit honnête ou pas...

Un grand film donc pour finir, avec ses petites doses de raccourcis dont le metteur en scène est un habitué, mais peu de griefs, dans un film magistralement interprété par des gens qui ne sont pas forcément, mais devraient être, des monstres sacrés...

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Published by François Massarelli - dans Clint Eastwood