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3 septembre 2011 6 03 /09 /septembre /2011 16:44

Hemingway reprochait à ce film adapté d'un roman qui lui tenait à coeur de s'éloigner de la réalité de la guerre, de ne pas s'y attarder. C'est sans doute vrai, on sait que Borzage n'aimait pas représenter la guerre, même s'il l'avait fait à plusieurs reprises, un peu (Humoresque, Lazybones, Seventh heaven, Lucky star), mais jamais en faisant de cette sacrée "grande guerre" le principal cadre d'un film. Avec celui-ci, c'est chose faite; mais le peintre de la marge qu'était Borzage a bien sur concentré ses efforts sur les personnages, soldats de l'arrière, infirmières, médecins... qui sont dans les coulisses du conflit. Celui-ci est à la fois omniprésent (Raids aériens, batailles dont on voit passer les blessés...) et constamment en retrait. de plus, Borzage, qui a tourné an Californie un film sensé se passer dans les Alpes Italiennes, s'est ingénié à tricher en permanence en représentant le conflit sous un angle symbolique, cette tendance culminant dans un montage muet admirable qui cède parfois à la tentation de s'inspirer des cadrages expressionnistes, et qui renvoie au souffle visuel admirable de ses grandes oeuvres de la fin du muet. Bref: Frank Borzage, sollicité par Paramount pour réaliser ce film de prestige, n'a pas fait les choses à moitié, et s'est entièrement approprié l'histoire, la situation et les personnages, et c'est tant mieux. Ce faisant, il retrouve son style et sa maîtrise de 1927-1929, et du même coup réalise un film essentiel, charnière, qui inaugure de la plus belle façon une nouvelle période d'indépendance de sa carrière, après le contrat Fox qui vient de se terminer...

Frederic Henry, un jeune étudiant architecte Américain engagé au coté des Italiens, et dont la fonction est de conduire une ambulance, fréquente beaucoup les bordels de l'arrière, voire les infirmières en compagnie de son copain le Major Rinaldi. Par le biais de celui-ci, il fait la connaissance de Catherine Barkley, une jeune infirmière Anglaise. Ils tombent amoureux, mais la hiérarchie militaire, méfiante à l'égard des idylles, les supérieures de l'infirmière, garantes de la morale, le major Rinaldi, qui n'a pas compris le sérieux de l'histoire d'amour, et finalement la guerre, vont s'acharner à les séparer...

Gary Cooper interprète le lieutenant, passant sans douleur de l'affreux séducteur sur de lui à un homme amoureux fou, qui va fuir ses responsabilités jusqu'à la désertion pour vivre son amour; face à lui, Helen Hayes se jette à corps perdu dans le drame. On sait à quel point Borzage avait besoin de croire en ce qu'il filmait, en jusqu'au-boutiste du mélodrame; nous en avons la démonstration, et l'actrice l'a suivi sur ce terrain. Enfin, troisième larron, qui joue un peu malgré lui les trouble-fêtes, le major Rinaldi est interprété par Adolphe Menjou. Hostile à l'aventure au départ, Rinaldi va se racheter au moment ou il découvrira la sincérité de l'amour des deux héros. Il est un peu la bonne fée tardive de ce film, permettant une ultime rencontre entre son ami et Catherine, au moment ou celle-ci meurt après avoir eu un enfant mort-né... Mais le film a d'autres références à Cendrillon, à commencer par cette rencontre inopinée, durant un raid aérien, entre un Gary Cooper saoul et armé de la chaussure d'une prostituée, et Helen Hayes pieds nus, et en chemise de nuit... 

Le changement de Frederic a lieu lors de la deuxième rencontre entre les deux héros. Ils se courtisent dans un premier temps dans les règles de l'art (Il souhait l'embrasser, elle refuse, puis après quelques minutes, lui demande de la faire), avant que le jeune homme ne brûle les étapes: il est clairement venu pour passer du bon temps, et la force; elle n'avait pas l'intention de coucher avec lui, mais elle l'aime déjà. La suite de la scène est sans ambiguités: il s'en veut de l'avoir brusquée, elle est sonnée, mais accepte son sort, car elle sait qu'ils sont désormais liés. De fait, si plus tard elle le soupçonne effectivement de vouloir la laisser de côté, lui revient blessé, dans une scène prise en caméra subjective (de la même façon que Dreyer filme de l'intérieur d'un cercueil la même année les rêveries de David -ou Allan- Gray dans Vampyr.), et il fixe le plafond décoré de peintures religieuses pendant la scène, jusqu'au moment ou Helen Hayes vient le voir, et l'embrasse. Cette séquence superbe et déroutante est le point de départ des retrouvailles du couple, qui va ensuite se marier comme on le fait dans les films de Frank Borzage: en contrebande. Un prêtre est venu visiter Frederic, en convalescence, et Catherine est là. Sans le leur demander, il prie, selon le rite de mariage Catholique, et les unit. Au fur et à mesure de la "cérémonie", Frederic désolé des circonstances rappelle à Catherine tout ce qui leur manque pour faire un vrai mariage, mais elle balaie toutes ses remarques: elle est heureuse.

Le sacrifice, c'est Catherine qui le fait; elle est enceinte, le sait, mais même après leur cérémonie symbolique de mariage, elle ne peut le lui annoncer, car elle ne veut pas qu'il se sente forcé par elle à rester avec elle. Elle l'assure en permanence qu'il n'est pas tenu de lui être fidèle tant qu'il n'en raconte rien, et il ne découvrira la vérité que trop tard: les circonstances les ont séparées, et Catherine est à l'hôpital pour y mourir... La dernière scène est connue, mais il est essentiel d'y passer, tant elle est cruciale autant pour le film que par rapport à l'oeuvre de Frank Borzage: Avec Frederic à son chevet qui vient enfin de la retrouver après une longue séparation, Catherine va mourir, c'est une évidence. elle le sent bien, et y fait même allusion, demandant à Frederic s'il l'aimera encore après sa mort. Elle panique soudain, a peur de mourir, et c'est désormais lui qui la rassure, la prend dans ses bras. Elle meurt après s'être calmée. Au dehors, les cloches sonnent, c'est l'armistice. Frederic prend le corps sans vie de Catherine dans ses bras, et la sort du lit, sa chemise de nuit comme une longue traine blanche. de dos, il s'adresse au ciel une dernière fois: "Peace"... (ou "please?", je ne sais pas!)  De Seventh Heaven et son miracle, on est passé à une vision pessimiste qui anticipe sur les fins admirables de deux futurs films, Three comrades et The mortal storm, un constat amer sur la sacrifice de la guerre, cette saleté. Les cloches de la paix, joie futile pour les amoureux désormais séparés par la vie et la mort, prennent une autre signification: ils sont, malgré tout, mariés pour l'éternité.

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage Première guerre mondiale Pre-code